nos regards sur ce paysage, à travers ses lignes de cimetières en bordure. C’est le premier obstacle rencontré par l’Italie sur son propre seuil, après qu’elle eut forcé le large Isonzo malaisé, où, comme m’avait dit mon guide, les troupes peuvent marcher, mais où la marche n’est pas commode... On s’en apercevait !
— Nous en avons fini pour quelque temps avec les pierres, déclare notre guide. Maintenant, nous allons à une montagne de boue. Elle est sèche à présent, mais cet hiver elle ne tenait pas en place.
Au bord de la route montante, sur une étendue d’environ un arpent, le terrain est encore difficile : il s’est affaissé en un mélange de terre et de racines d’arbres, que des hommes enlèvent à la pelle.
— C’est une route toute récente. Nous avons au total environ six mille cinq cents kilomètres de routes neuves, — ou vieilles routes améliorées, — sur un front de six cents kilomètres. Mais, vous le voyez, nos kilomètres ne sont pas à plat...
Le paysage, formé d’un choix de tous les verts du printemps, est celui des tableaux de sainteté des Primitifs italiens : les mêmes collines isolées, escarpées, s’élevant de prairies en émail ou de massifs en fleur, dans la belle ordonnance des mêmes entablemens de roc, couronnés par un campanile ou par un bouquet d’arbres sombres. Sur les routes blanches au-dessous de nous, les autos et les mules de transport déroulent leurs longues files, qui avancent d’un train monotone. A un moment, nous dûmes embrasser du regard plus de trente kilomètres de ces routes en pleine activité, mais il ne nous fut jamais possible d’y surprendre une brèche. Le système des transports italiens a fait ses preuves dans la guerre depuis longtemps.
Plus les plaines s’abaissent, à mesure qu’on suit la route, plus on se rend compte de la hauteur des montagnes dont le cercle nous domine. Podgora, la Montagne de Boue, est un petit Gibraltar d’environ huit cents pieds de haut, presque perpendiculaire d’un côté, ayant vue sur la ville de Goritz, qui, en temps de paix, était une sorte de Cheltenham mal aéré pour officiers