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et l’ivresse d’une gloire que Dieu lui-même offre comme un hommage et une récompense au peuple élu. Pour les responsables de la guerre, l’ivresse tourne au délire.

Ils n’admettront plus, et le soldat vainqueur pas davantage, la pensée qu’un revirement quelconque dans le cours des événemens puisse se produire.


« Chaque jour, c’est une nouvelle victoire : Liège, Namur, Dinant, Morhange, Charleroi. Après chaque dépêche officielle, le bourgeois allemand repérait les noms sur sa carte et accrochait un drapeau à sa fenêtre. Dans les campagnes, on sonnait les cloches pour convoquer les paysans à la lecture du bulletin. A Berlin, un dimanche soir, les agens de police du district du centre se chargèrent de communiquer au public une glorieuse dépêche survenue après la lecture des journaux. Dans une automobile militaire, un officier remonta l’avenue des Tilleuls en criant la nouvelle à la foule. Les sergens de ville de garde, auprès des stations de tramways, l’annoncèrent dans toutes les voitures qui remontaient pesamment chargées vers les faubourgs populeux. En peu de temps, tout Berlin la connut et, malgré l’heure tardive, illumina et pavoisa.

« Ce furent des journées folles. Les Allemands les plus présomptueux n’avaient jamais osé penser que leur patrie était aussi puissante [1]... »


Donc, toute l’Allemagne répète : « Gloire au peuple allemand, gloire aux armées allemandes qui sont le peuple en armes et en marche ! Quand elles tombent sur le monde, elles le frappent d’épouvante et il n’a qu’à ramper à leurs pieds... »

Cette conviction de la supériorité fatidique des armes allemandes est telle qu’elle se glisse jusque chez l’adversaire, et le professeur E.-H. Baïer, chargé de l’apologétique de la guerre dans son Volkerkrieg, emprunte au Times ce tableau des phalanges allemandes se jetant, irrésistibles, au combat :


« Les commandans allemands portaient leurs troupes en avant, comme si elles avaient une inépuisable provision de bravoure. Les soldats vont au combat en sections profondes fortement ramassées, en rangs serrés ; ils ne se préoccupent pas de chercher des abris ; ils marchent droit devant eux à l’assaut, dès que l’artillerie a ouvert le feu. Que les ennemis soient à découvert ou dans une région vallonnée

  1. *** L’esprit public en Allemagne. Les Victoires d’août, dans le Correspondant du 25 février 1915, p. 566.