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tête me craque. Fichez-moi la paix et tâchez qu’on puisse coucher tranquille ici ce soir.

Il plia ses cartes et mit un peu d’ordre sur la table, puis s’étant ressaisi il dit d’une voix plus calme :

— Eh bien, nous allons nous constituer en tribunal. Hillmer à droite, Franz à gauche. Hillmer, vous avez un interprète ?

— Oui, mon capitaine ! J’ai fait descendre le bourgmestre.

— C’est bien. Vous allez maintenant me chercher l’adjudant qui nous servira de greffier, et nous interrogerons cette femme.

Le jeune homme que le capitaine avait appelé Franz prit sa place, puis allongea ses jambes sous la table en rejetant le buste contre le dossier de sa chaise. Il avait l’air d’un monsieur des villes, mince, la peau blanche, les joues plates, le sourire moqueur et négligent. Il remarqua de sa voix froide et un peu grêle :

— Ce n’est tout de même pas ordinaire, cette affaire-là, mon capitaine. J’espère que vous n’allez pas trop la dépêcher ?

Le capitaine semblait avoir de l’indulgence pour ce jeune homme. Il haussa légèrement les épaules. « Regardez-moi, dit- il, cette espèce d’intellectuel ! Ça fait la guerre en cherchant des curiosités ! » Et il lui sourit avec un air d’amitié.

Au même moment, le lieutenant Hillmer rentrait avec l’adjudant à qui le capitaine tendit un cahier de papier, une plume et une bouteille d’encre. Chacun s’étant installé, l’adjudant alla ouvrir la porte et fit un signe au dehors. Gotton apparut sur le seuil entre deux soldats baïonnette au canon. Derrière elle, venait le bourgmestre retenu en otage dans la maison commune, un homme respectable, qui de sa vie n’avait parlé à Gotton et qui, tout tremblant de peur, fixait sur elle un regard indigné. Elle était toute mouillée de pluie ; des mèches blondes rayaient ses joues blêmes que l’angoisse en quelques jours avait évidées. Elle se tenait les mains pendantes ; ses yeux scintillans scrutaient les trois figures d’officiers allant de l’une à l’autre, essayant de surprendre sur les physionomies le sens des paroles étrangères. Le cœur lui battait si fort qu’elle avait peur de tomber.

— Vous dites que vous avez tué un soldat allemand ? demanda le capitaine, et le bourgmestre traduisit.

Sans baisser les yeux Gotton fit signe que oui.

— Pourquoi ?