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Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/857

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n’est pas étonnant ! il paraît que son mari gagne de l’or en barre dans son étude de tabellion !.. Voilà ce que c’est que de passer tout son temps à sa toilette ! Elle est en retard pour la messe ! Elle n’arrivera plus qu’au dernier malo !…

Les jours de neige et de verglas, l’observatoire de ma grand’mère devenait tout à fait amusant. Les gens glissaient malgré leurs socques fourrés, perdaient l’équilibre et s’étalaient au beau milieu de la place. Certaines fois, c’était une petite vieille demoiselle en chapeau cabriolet, dont la bosse miroitait sous le satin d’un gros manteau ouaté et capitonné, qui s’avançait à pas si menus, si réguliers, qu’elle semblait couler sur le pavé. Ma grand’mère, qui la guettait derrière sa croisée, s’écriait tout à coup, en pouffant :

— Ah ! voilà cette pauvre Clorinde, qui vient de faire « le cul de bourrée » sur la glace !…

La chute était inoffensive, tant la vieille demoiselle se trouvait matelassée de fourrures. Dans son embuscade, l’autre vieille en riait d’un petit rire d’enfant qui ne s’arrêtait plus, qui devenait un fou-rire, une véritable convulsion de gaieté, et qui la faisait pâmer d’aise.

Elle n’épargnait pas plus les hommes que les femmes :

— Eh mais ?… il me semble que je reconnais le « faufilé ! » disait-elle, en apercevant un vieux monsieur, contemporain de son propre mari, un long squelette si mince, si transparent, qu’il semblait n’avoir plus que le souffle.

Le « faufilé ! » C’était un surnom du vieux temps, qui remontait à une antiquité si haute, que personne ne savait plus ce que cela voulait dire. Quand on interrogeait ma grand’mère à ce sujet, elle répliquait d’un air entendu :

— Eh bien ! oui, n’est-ce pas ! Ç’a toujours été un avorton : il n’était que faufilé, il n’était pas cousu comme les autres hommes !…

Ceux-ci, elle les divisait par catégories, ayant chacune son étiquette plaisante. Tout au sommet de la hiérarchie masculine, se pavanaient « les mirliflores » et « les fashionables. « Puis venaient les gros rentiers du pays, tout bouffis de graisse et sanglés dans des redingotes de coupe surannée et vaguement grotesque :

— Un beau mardi gras ! disait ma grand’mère, en haussant les épaules.