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En réalité, la taxation imposait à tous les producteurs de blé un sacrifice de 5 à 6 francs par quintal, puisqu’ils se trouvaient contraints de céder leur grain à 30 francs au lieu de le vendre 35 ou 36 francs, et, d’autre part, en achetant du blé au dehors à 38 ou 40 francs pour le vendre 30 francs seulement, l’État faisait une opération commerciale désastreuse dont la perte était naturellement subie par le contribuable ! Sans doute, le consommateur bénéficiait d’une réduction de dépense, mais il en supportait partiellement les conséquences sous forme d’impôt, et il forçait le cultivateur à subir une véritable confiscation.

Est-il besoin de dire que les producteurs de blé accueillirent avec la plus vive irritation une mesure qui réduisait leurs recettes au moment où leurs dépenses augmentaient ? Nous avons constaté partout, au cours de nos voyages, le fâcheux effet moral de la taxation imposée aux agriculteurs. Une conséquence déplorable de l’intervention arbitraire du législateur fut bientôt constatée. Les autres grains, et notamment l’avoine, n’ayant pas été taxés au même moment, leur cours s’éleva rapidement et dépassa même très largement celui du blé. Les agriculteurs avaient dès lors intérêt à vendre l’avoine ou l’orge et à faire consommer le blé par leurs animaux de ferme. Cette substitution fut, en effet, opérée, et nous avons vu sur la place du marché de X... à 100 kilomètres de Paris, les musettes des chevaux pleines de blé ! Bien entendu, les quantités de froment ainsi consommées par le bétail devaient être remplacées, et l’État se voyait forcé d’acheter fort cher à l’étranger le poids de grains que le cultivateur donnait aux animaux au lieu de le porter au moulin pour servira la fabrication de la farine et du pain. La perte subie de ce fait, s’est trouvée aggravée par les dépenses de transport depuis le lieu de débarquement jusqu’au point où le blé devait être amené, moulu et consommé sous forme de pain. Enfin, une autre conséquence de la taxation arbitraire du blé ne tarda pas à être connue. Comme il est toujours plus facile de produire de l’avoine et de l’orge que du blé, comme ces deux premières espèces de grains sont semées notamment au printemps, on a constaté que les agriculteurs réduisaient les surfaces consacrées aux blés d’automne pour augmenter l’étendue des champs réservés aux autres céréales. D’ordinaire cette pratique se trouve en opposition avec l’intérêt