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âge. Le pauvre garçon avait eu les deux jambes broyées au bois d’Avocourt, et, pendant les deux jours qu’il mit à mourir à l’ambulance, il prononça plusieurs fois mon nom, si bien que le médecin m’écrivit pour me raconter sa fin courageuse et m’envoyer la photographie de sa tombe dans le cimetière de Brocourt. Tombe de primitif, misérable et émouvante, marquée par un simple encadrement de pierres placées côte à côte, telles certaines sépultures de l’homme préhistorique. Je savais qu’un soldat du régiment, cousin éloigné de son camarade, était allé sur cette tombe, avec d’autres pierres dessiner une croix. Ainsi le laboureur gascon, couché dans la terre lorraine, aura reçu l’apaisement du rite funéraire, à caractère familial et religieux, que les morts, à travers les âges, n’ont cessé d’attendre de la piété de leurs parens. L’ébauche grossière de la croix était visible sur la photographie. Il me semblait que ces petites choses seraient douces au cœur de l’affligée. Je ne la trouvai point : elle était allée chercher du pain au village.

À mon retour, j’eus l’occasion de voir une de ses belles-sœurs.

— Que devient, lui dis-je, la pauvre Marie ?

— Monsieur, me répondit-elle, avec cette touchante résignation qui est le fond de l’âme paysanne, que voulez-vous qu’elle devienne ? Elle laboure toute la journée en pleurant.

Ces mots sonnèrent longtemps à mon oreille et reviennent souvent à mon esprit. C’est que, dans le simple geste, journalier, continu, de cette humble femme, il y a la réponse, toute la réponse, à la question posée.

À la nouvelle de son malheur, sa première pensée fut de quitter la métairie, le 8 septembre suivant, où les baux se renouvellent, avec sa part de récolte et un profit non négligeable sur le cheptel : il se trouva bien des gens pour le lui conseiller. Elle pourrait alors choisir entre deux partis : prendre un petit logement au village, « se mettre en chambre, » comme on dit ici, et avec ses enfans y vivre de l’allocation et de quelques menus travaux ; ou résolument se placer en condition. Honnête et courageuse, elle ne manquerait pas d’être recherchée, et de beaux gages grossiraient à vue d’œil son pécule, l’allocation devant suffire pour assurer la garde des enfans chez leur grand’mère.

Elle hésita longtemps, réfléchit beaucoup et finalement