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Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/168

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récolte, vendue vingt sous le kilo, a donné dix mille francs.

Chez ceux qui travaillent et produisent, l’argent afflue et d’ailleurs facilement s’en retourne. Au règlement des honoraires, moment délicat, où tout se passe en nuances, les médecins peuvent noter quelques petits symptômes. Plus de porte-monnaie à fermoirs rouillés, durs, grinçans ; plus de ces bourses, à deux anneaux, en forme de verveux, béans pour l’entrée et non pour la sortie ; plus de nœuds au coin du mouchoir, redoublés, contournés sur la pièce d’or accotée de pièces blanches, si serrés que les doigts n’en finissent pas de les défaire, mais d’élégans portefeuilles, qui s’ouvrent comme des livres, d’où les petits billets bleus s’échappent, s’envolent, légers, charmans. On a savouré longtemps la joie âpre et orgueilleuse de l’argent thésaurisé ; on goûte maintenant la douceur de celui que l’on dépense, douceur des étoffes moelleuses et jolies, que l’on sent sur ses épaules, des ustensiles et meubles commodes, des nourritures confortables, même succulentes ! Tout cela va d’un beau train. Vogue la galère, les œufs sont si chers ! Et ceci, visible effroi pour les uns, est joie, triomphe de l’autre côté. Si vous saviez de quel ton on en parle, et j’adoucis la verdeur du langage en empruntant celui de Cyrano : « Faut pas coudre le derrière des poules, qui, lâchant leur œuf, vous envoient cinq sous dans la poche ! »


Il reste que l’effort agricole est très grand et d’une vraie beauté. On le juge mal quand on le voit de trop près, au milieu de difficultés personnelles. Trop fragmentaire, l’observation manque aussi d’objectivité. Il faut le considérer dans son ensemble, avec un peu de recul, ce qui n’empêche pas de voir les ombres du tableau.

Il y en a. Bien des sillons ont été raccourcis, bien d’autres abandonnés, laissant s’étendre sur les terres les plus fertiles la tristesse des taches d’inculture. Le mal était inévitable : il devrait être moindre. D’abord certaines bonnes intentions très évidentes n’ont pas donné tout ce qu’on avait le droit d’en attendre. On a manqué de plan général, de méthode, peut-être du véritable esprit d’autorité. Ainsi, par exemple, pendant que nos paysans prisonniers signalent « qu’ils travaillent à la ferme, » où bien d’autres, sans être paysans, les ont suivis, la métairie