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comme vous voyez ordinairement. Il y a moyen en toutes choses ; parfois il y faut de la rudesse, mais ce ne doit être contre le gros, mais contre quelque particulier qui voudra gronder ou empêcher les autres qui sont en bonne volonté.


Et ce ne sont pas seulement les capitaines, lieutenans et enseignes qui doivent mettre la main à l’ouvrage pour encourager les hommes. Les princes et les seigneurs venus aux armées pour assister aux opérations sont invités par Monluc à payer de leur personne et à donner l’exemple.

En 1551, Messieurs d’Aumale et de Nemours, le comte d’Enghien et son frère le prince de Condé, le comte de Charny et son frère Monsieur de La Rochefoucaud, amenant avec eux une nombreuse suite de noblesse, viennent en Piémont pour suivre la campagne du maréchal de Brissac. Celui-ci avait projeté de surprendre le fort de Lanzo ; il partit un matin avec la cavalerie et les princes pour reconnaître la position. Monluc, qui souffrait fort d’une hanche déboîtée quelques jours auparavant à la prise de Chieri, venait à l’arrière, conduisant l’artillerie. Arrivé le soir au quartier du maréchal, il apprend qu’un contre-ordre avait été donné et que l’on avait décidé de s’en retourner, l’opération étant jugée irréalisable : le château, juché sur un piton rocheux, ne pouvait être battu par le canon que d’un étroit palier, réputé inaccessible à l’artillerie. Monluc ne se fie pas à ce rapport et veut, malgré sa blessure, voir les choses par lui-même. Et le voilà hissé sur un mulet, gravissant un sentier escarpé « où les anges auraient eu assez affaire d’y monter » et où en plus « les arquebusades étaient à bon marché. » Il reconnaît qu’en faisant ouvrir par les pionniers une piste en lacets, on pourra monter l’artillerie et l’établir sur le palier, « au cul du château. » Il redescend de rochers en rochers, tantôt sur son mulet, tantôt à pied, soutenu par deux de ses officiers, « qui le menaient en épousée sous les bras ; » il va trouver Brissac et le supplie de revenir sur sa décision, se faisant fort de conduire l’artillerie sur la position. Le maréchal commence par résister ; mais les princes appuyant chaudement le plan de Monluc, il se laisse convaincre, si folle que lui paraisse l’entreprise. « Alors je dis à Monsieur de Nemours : « Monsieur, il faut que vous autres princes et seigneurs mettiez la main en cette affaire et que vous montriez le