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enfin dans l’assaut qu’apparaissent dans leur plein jour ses qualités militaires.

En 1545, le maréchal du Biez ayant délibéré, d’enlever aux Anglais un fort situé près de Gravelines, confia l’opération à Monluc et à M. de Taix, qui commandaient tous deux des bandes gasconnes. Monluc envoya trois cents arquebusiers reconnaître le front d’attaque ; il était formé d’une courtine flanquée de deux bastions et protégée par deux fossés pleins d’eau, séparés l’un de l’autre par une haute levée de terre. A la vue des arquebusiers, les Anglais parurent. Il semble à Monluc qui les observait que ces gens-là « avaient fort à cœur leur retraite » et ne feraient pas longue résistance ; il décide de donner l’assaut et, s’approchant de M. de Taix, il lui dit : « Allons, monsieur, allons au combat, car nous les emporterons ; je les ai tâtés et trouve qu’ils ont plus envie de fuir que de combattre. » Les deux troupes gasconnes attendaient à l’entrée d’un pré le retour de leurs capitaines. Monluc fait sortir du rang les sergens et les harangue devant le front. « Vous autres, sergens, avez toujours accoutumé quand nous combattons d’être sur les flancs ou derrière ; et à cette heure, je veux que vous combattiez sur le devant, les premiers. Voyez-vous cette enseigne ? Si vous ne la gagnez, tant que j’en trouverai devant moi qui voudront faire le renard, je leur couperai les jarrets. » Puis, se tournant vers ses capitaines : « Et vous, mes compagnons, si je n’y suis pas aussitôt qu’eux, coupez-moi les miens. » Excités par les paroles de leur chef, les Gascons s’élancèrent.


Nous courûmes droit aux fossés, faisant toujours passer les sergens devant et passâmes le premier et second fossé et vînmes au pied de la courtine[1]. Lors je dis aux sergens : « Aidez-vous, aidez-vous avec vos hallebardes à monter. » Ce qu’ils tirent promptement. D’autres les poussaient par derrière, se jetant à coup perdu là-dedans. J’avais une hallebarde et me tenais avec la main gauche au bord. Quelqu’un de ceux qui arrivaient, ne me connaissant pas, me prit par les fesses et me poussa de l’autre côté, lequel me fit plus vaillant que je ne voulais être, car ce que j’en faisais était pour donner courage à tout le monde de se jeter de l’autre côté ; mais celui-là me fit oublier la ruse et franchir un saut que je ne voulais

  1. Au pied de la courtine, il y avait une berme large « de plus de deux grands pas » où les soldats étaient au sec ; quant à la courtine, elle n’avait pas plus de deux crasses de hauteur.