Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et vinrent aux mains avec les Espagnols… et là il en mourut plus de quatre-vingts. Et leur gagnèrent encore nos gens cette tranchée qu’ils avaient faite par le milieu, car ils se voulurent retirer à cette tranchée, et les nôtres les suivirent de si près qu’ils y entrèrent aussi tôt qu’eux.


Le passage suivant, à la forme près, serait à sa place dans un communiqué de la guerre actuelle :


Et que pis est, le colonel suisse étant à la brèche, le feu se mit à une traînée que les ennemis avaient faite, que la fumée alla si haut en l’air qu’il demeura plus de grand demi-quart d’heure que homme ne se voyait, et pour cela les nôtres n’en firent rien davantage et se faulcist retirer.


La vie de camp au XVIe siècle ressemblait par plus d’un côté à la nôtre dans la guerre actuelle. A la tranchée, les intempéries, plus encore que les projectiles, étaient le mal redouté. Qui a vu une troupe descendre d’un secteur, après quelques jours d’occupation par la pluie, n’oublie plus le spectacle de ces hommes, aux capotes roidies et durcies par une épaisse couche de boue, vêtemens qu’il faudra commencer par décaper avant tout autre nettoyage. Quand Monluc et ses capitaines revenaient de la tranchée, ils n’étaient pas en plus bel équipage. « Il nous fallait changer de chausses et de chemises, car nous étions tout terre. »

La durée de la guerre avait rendu nécessaire l’octroi de permissions, comme cela s’est produit dans la présente campagne. Besoin était pour les uns de se marier ou de marier leurs enfans ; pour les autres de recueillir une succession. Il était impossible du front « d’accommoder les affaires de sa maison. » En juillet 1555, Monluc revenu du Piémont va voir le Roi à Paris pour lui faire son rapport et part comme un permissionnaire du front pour la Gascogne où il pensait bien goûter un long repos. Mais ces congés sont précaires, étant subordonnés à la marche des opérations. « A peine avais-je demeuré trois semaines à ma maison que Sa Majesté me dépêcha un courrier me mandant que je l’allasse trouver là où il serait sans marchander ni attendre autre commandement : ce que je fis incontinent, n’ayant presque vu ma maison et mes amis. »