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dit : « Oui, Mousseigne[1], mais les perdreaux seront de votre propre pays, des aulx et des oignons. » Je lui répondis que ce serait ni l’un ni l’autre, mais que je lui donnerais aussi bien à dîner que s’il était dans son logis, et le vin aussi froid qu’il en saurait boire et vin de Gascogne et de bonne eau. Alors il me dit : « Vous moquez-vous point, Mousseigne ? » Et je lui dis : « Non, sur ma foi ! — Oui, dit-il, mais je ne puis laisser le duc de Saxe. » Je lui répondis : « Amenez le duc de Saxe et qui vous voudrez. » Il me répondit que le duc ne viendrait pas sans ses capitaines. Et je lui répondis : « Amenez capitaines et tout, car « j’ai prou à manger pour tous. »


Monluc ne paraissait si au-dessus de ses affaires que parce que, la veille au soir, il avait invité Messieurs de Bordillon et de Tavannes à venir dîner avec leurs amis, après l’installation des troupes sur le terrain et avant l’arrivée du Roi. Comme il les voulait bien traiter, il avait recommandé à son maître d’hôtel de soigner le menu. Retenus par leur service au dernier moment, les hôtes avaient dû renoncer à la bombance projetée.


Monsieur de Guise alla chercher le duc de Saxe et ses capitaines. J’envoyai en diligence à mon maître d’hôtel, afin que tout fût prêt. Mes gens avaient fait faire une cave en terre dans laquelle l’eau et le vin y demeuraient aussi frais que glace. Et, de bonne fortune, je me trouvai force perdreaux, cailles, paons d’Inde, levrauts et tout ce que l’on eût pu souhaiter pour faire un beau festin avec pâtisserie et tartes.


Les nobles hôtes firent grand honneur au repas, et le duc de Guise sortit de la tente complimentant Monluc sur sa réception : « Vraiment, dit-il, vous êtes servi en prince. » Monluc, en fin Gascon, fit observer qu’il lui manquait, pour que le compliment fût tout à fait juste, de la vaisselle d’argent, qui lui permettrait de recevoir à sa table des princes selon leur rang. Il pria le duc de demander pour lui au Roi de quoi en acheter, et Henri II, satisfait de voir un chef français tenir si honorablement son rang, acquiesça à la demande.

Un écrivain militaire, il faut l’espérer, nous donnera quelque jour une étude complète sur Monluc. Il sera largement récompensé de sa peine par le charme qui se dégage de la

  1. Nom familier que le duc de Guise avait l’habitude de donner à Monluc.