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Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/231

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qu’il a transformé sa poésie en éloquence : « Ils proclament la majestueuse supériorité de l’expédient sur la pensée dans la conduite de ce bas monde. Que répondre ? L’expédient et la routine ont fait leurs preuves ; la pensée, moins souvent… Vous craignez les philosophes et les poètes dans vos affaires ? Quand on voit vos actes, on sait pourquoi. Vous ne voulez pas que la politique grandisse, afin qu’elle reste à la proportion de ceux qui la manient. Les peuples pourtant ne s’y trompent pas ! Tout gouvernement sans philosophie est brutal ; tout gouvernement sans poésie est petit. Louis XIV était la poésie du trône, et c’est pourquoi il est Louis XIV. Napoléon fut la poésie du pouvoir. 92 fut la poésie du patriotisme. La Convention même fut la funeste poésie du crime. Si le gouvernement de Juillet était tombé en d’autres mains que les vôtres, il pouvait être la poésie du peuple. La France nu fut-elle pas toujours le philosophe armé de l’Europe ? N’est-elle pas la poésie des nations ?… » Quelle admirable page, et telle que, dans les anthologies des siècles éloquens, il n’en est pas de plus belle !… Et aussi, quelle exaltation prodigieuse de toutes imprudences ! La pensée n’a pas fait ses preuves ! s’écrie Lamartine. Mais si ! et, du temps de Lamartine déjà, la pensée avait fait ses preuves : ce qu’on nomme pensée ou poésie, dans la conduite de l’État. Jugez-la, cette pensée ou cette poésie, sur les résultats, et à votre gré ; ne dites pas qu’on ne l’a pas vue à l’ouvrage, cette pensée ou cette poésie, que vous flétrissez comme un crime, dans la Convention, mais que vous glorifiez tout de même, et cette rêverie insigne qui vous mène à choisir pour la France le rôle inquiétant de philosophe de l’Europe et de poésie des nations. Lamartine est un patriote et jamais son patriotisme ne se relâche. Certes ! et l’on n’a point à le démontrer. Mais son fervent patriotisme ne le détourne pas de la poésie qu’on aperçoit à la fin de cette page superbe et alarmante, et qui se déclare une autre fois dans une réponse à Berryer : « Nous nous appelons Révolution, dites-vous ? Mais la France, avant tout, s’appelle nation, humanité, civilisation ! » et qui éclate avec fureur dans cette harangue : « Un homme d’État digne de ce nom, c’est-à-dire un guide du peuple, un coopérateur de la Providence, doit se préoccuper de deux points de vue : le point de vue du genre humain d’abord, et le point de vue national ensuite. J’ai la faiblesse de compter l’intérêt de l’humanité pour quelque chose. Je suis homme avant d’être Français, Anglais ou Russe ; et, s’il y avait opposition entre l’intérêt étroit du nationalisme et l’immense intérêt du genre humain, je dirais comme Barnave : Périsse ma nation, pourvu que