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veut une abnégation dont nous n’avons pas rencontré les sources dans nos douleurs. C’est peut-être elle aussi qui paralyse les généreux efforts du Souverain Pontife. Le monde eût été mieux préparé à écouter une parole de paix, s’il avait entendu d’abord une parole de justice. Et la paix qui nous est offerte est peut-être la seule que pût offrir « le vieillard non armé, vêtu de blanc, » mais elle est trop blanche.

Avec quelque ostentation, la presse de l’Europe centrale a fait à la Note du Saint-Siège un accueil mélangé. En Allemagne, les journaux pangermanistes ont paru être furieux; les socialistes, généralement sympathiques, non sans y ajouter, çà et là, une inconvenante ironie ; les libéraux-nationaux et les progressistes ou radicaux, froids ; les protestans, guindés et revêches ; les organes du Centre, pour la plupart obéissans, les autres embarrassés. Les journaux autrichiens, muets dans le premier instant, se sont décidés à approuver et dissimulent mal leur satisfaction. Mais justement la Note est arrivée à l’heure où les événemens de Galicie prenaient la tournure la plus favorable et revivifiaient des espérances qui, depuis des mois, étaient mortes ou agonisantes : « Après la victoire de Tarnopol, imprimait le Lokal Anzeiger, nos ennemis tableront moins sur une défaillance des Empires du Centre. » C’est jouer sur les mots. L’Allemagne, qui avait déjà deux ou trois fois sauvé l’Autriche, a pu la sauver encore une troisième ou quatrième fois. Et si les nouvelles batailles des Flandres et de Verdun lui interdisent de prétendre que, militairement, elle est encore la plus forte, nous ne nous leurrons pas, elle est encore militairement très forte. Oui, mais ne nous trompons pas non plus sur le caractère de la présente guerre, qui n’est pas seulement une guerre d’armées contre armées, qui est une guerre de nations contre nations. Guerre faite et soutenue contre d’autres nations tout entières par des nations tout entières, armées non seulement de leurs armées, mais de tout ce qu’elles ont et ce qu’elles font. Ce ne sont donc plus seulement les armées, ce sont les nations qui sont au feu, et l’on peut même envisager cette hypothèse, qui n’est paradoxale qu’en apparence, que le parti militairement victorieux serait pourtant finalement vaincu. Ce ne sont pas seulement les armées, ce sont les nations qu’il faut user. Dès lors, la solution est mathématique. L’Entente, avec le supplément presque illimité de ressources que lui apportent ses plus récentes alliances, est inusable dans le temps dont le groupe des Empires, sans alliances fraîches à la quatrième année de guerre, peut disposer avant d’être lui-même usé.