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veiller sur lui toute sa vie, devait être ineffaçable. Ainsi cette humble créature, la plus ignorante et la moins intellectuelle qui se puisse imaginer, fut sa véritable éducatrice.

Le plus grand bienfait qu’il dut à cette bonté toujours présente à côté de lui, ce fut de pouvoir traverser des années atroces sans en contracter à jamais un pli d’amertume. « Il y avait à Beauvais, aux environs de l’année 1872, un jeune garçon qu’un malentendu regrettable exposait, de jour en jour et d’année en année, à devenir pour toujours une espèce de drôle, sous l’effet d’une souffrance en partie imméritée. Ces années de collège à Beauvais peuvent soutenir la comparaison avec ce qu’il y a de plus horrible en ce genre dans le roman et dans la réalité. » Certaines confidences de Wyzeva nous laissent deviner le supplice de cette enfance qui connut la double humiliation de la pauvreté et du ridicule. Quand le médecin polonais amena son fils à cet établissement provincial, la célèbre casquette de Charles Bovary n’est rien auprès de l’accoutrement sous lequel le « nouveau » apparut aux yeux de ses condisciples. « Que l’on se représente un petit garçon de dix ans accoutré d’une espèce de redingote en drap d’un vert olive, mais d’une redingote ornée de deux immenses poches et comme toute gonflée de partout, tandis qu’au-dessous d’elle flottait un pantalon d’une autre couleur claire, le tout surmonté d’une casquette de vieux charron, avec une visière très basse, afin de m’abriter les yeux contre les dangereux excès de soleil... » À cette disgrâce d’une affreuse misère le pauvre diable joignait celle d’être de race étrangère. Bien des côtés de sa nature déconcertaient ses camarades et ses maîtres provinciaux. Faute de le comprendre, ils le prirent en grippe : il n’y a rien de plus naturel. Il devint le paria et le souffre-douleur. Les enfans tombaient sur lui à coups de poing, et les maîtres à coups de punitions. Ce fut son apprentissage de la vie de société.

On voit maintenant se dessiner quelques-uns des traits qui se retrouveront dans la physionomie de l’écrivain. D’abord, il faut terpir compte de son hérédité polonaise. Dans Valbert, il s’est ainsi dépeint sous le nom de son héros : « Ma mère est Polonaise ; et moi-même, bien que je vive depuis près de vingt ans en France, je n’en suis pas moins resté un Slave. Il en résulte que j’ai grand’peine à m’accoutumer à la vie, et que, sans cesser de garder sur moi-même et sur les autres une clairvoyance pleine