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À cette courte période d’espérances sans limites succédèrent bientôt les dures réalités de luttes opiniâtres à soutenir contre un adversaire formidablement retranché. Lorsque l’armée italienne voulut, sa concentration terminée, poursuivre le premier élan de ses avant-gardes, elle ne tarda pas à atteindre au Nord les crêtes des Alpes et à se heurter à l’Est à la double ligne de défenses naturelles que lui opposaient le cours encaissé de l’Isonzo et la muraille abrupte du Carso. Pour traverser l’un et tenter de briser l’autre, il lui fallut livrer les furieux combats qui remplirent les mois de juillet, août et septembre 1915. Quelles brillantes qualités d’offensive et quelle valeur guerrière elle eut l’occasion d’y déployer, c’est ce qu’attestent, malgré leur concision voulue, ses communiqués officiels, mais c’est ce qu’illustrent bien plus éloquemment encore les mille traits d’héroïsme rapportés par ses combattans. Lorsque Carpazio arrive avec sa brigade dans la zone de feu, il croise sur la route une poignée d’hommes aux uniformes déchirés, aux visages émaciés, aux yeux brillans de fièvre, qui paraissent revenir du front. Il interroge l’un d’eux : « Qui vous commande ? — Un sous-lieutenant. » C’est tout ce qui reste du 10e de ligne, envoyé à la relève après les attaques dirigées pendant plusieurs jours contre la position du mont Saint-Michel, au-dessus de Goritz. Un autre régiment, rencontré le lendemain, ne compte plus que cent quarante hommes sous les armes. Dans la journée du 12 juin, on a vu ses soldats s’élancer sept fois à l’assaut d’une hauteur fortifiée, qu’ils ont fini par enlever à la baïonnette, en mêlant au cri mille fois répété de « Savoia ! » de furieuses invectives à l’adresse de leurs adversaires. « Hors d’ici, étrangers ! Quittez notre pays ! » Plus tard, la prise du Monte Cappuccio, redoutable forteresse naturelle dominant Gradisca, coûte la vie aux neuf dixièmes des volontaires envoyés pour couper les réseaux de fils de fer qui en garnissent les abords[1]. Et ce n’est pas seulement dans les batailles rangées que se manifeste ce mépris de la mort, mais encore dans les petits combats des Alpes, où les conditions de la lutte favorisent davantage le goût des aventures et l’exercice de l’initiative individuelle. Il faut lire dans les lettres d’un simple caporal florentin l’histoire, passionnante comme un épisode de

  1. Pascazio, pp. 37, 62, 81 ; — Azione du 27 juin 1915.