secourir les blessés et encourager les combattans sous de terribles rafales d’artillerie lourde, rallier et ramener à deux reprises au feu des soldats démoralisés et débandés, échanger en français des invectives homériques avec un capitaine autrichien qui le sommait de se rendre, et le lendemain encore, conduire cinq fois à l’assaut un bataillon dont tous les officiers avaient été tués[1]. De pareils souvenirs, destinés à survivre à la guerre, ne sont-ils pas faits pour dissiper ou au moins diminuer les préventions dont le clergé pouvait encore se croire victime ?
C’est un rapprochement social encore plus intime, et d’une portée plus générale, que la guerre a eu pour résultat d’opérer, en réunissant dans les mêmes cadres des officiers de complément recrutés dans la classe dirigeante et des soldats de réserve sortis de la classe populaire. Tous les jeunes gradés arrivant au front insistent avec raison sur le dévouement et la « fidélité de fer » qu’ils rencontrent chez leurs hommes, ainsi que sur les attentions délicates dont ils sont l’objet. L’un d’eux cite comme exemple la réponse d’un Alpin auquel il confiait une mission délicate : « Vous nous connaissez, mon lieutenant, nous veillerons à exécuter vos ordres comme si nous étions commandés par Dieu lui-même[2]. » De leur côté, les jeunes volontaires ne tarissent pas en éloges sur la gentilezza de leurs officiers[3]. Si cette union morale représente en temps de guerre un inappréciable avantage, comment croire qu’il ne restera rien après la paix des souvenirs d’une vie commune et de la dette de reconnaissance mutuelle contractée devant l’ennemi entre plébéiens et bourgeois ? — Cette œuvre de concorde nationale trouve enfin son couronnement et son symbole dans la légitime popularité que s’est acquise le roi Victor-Emmanuel en partageant volontairement l’existence de ses soldats ; seul de tous les souverains belligérans, il n’a pas quitté le front pendant toute la campagne : la nation lui en a témoigné dès maintenant une gratitude qui se tournera plus tard en attachement redoublé à sa personne et à sa dynastie.
Après les préjugés de classe, le particularisme régional, héritage des divisions passées, a fondu peu à peu au souffle de