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Aujourd’hui, le 15e régiment d’infanterie serbe célèbre sa fête, — la Slava, — en l’honneur de son patron Stevan Sindjélitch. On a bien voulu m’inviter à cette cérémonie où quelques femmes seulement étaient admises, avec les généraux des armées alliées, Sarrail, Milne, Boïovitch, et le général grec Moschopoulos.

Sous le ciel ardent et voilé, des montagnes d’un bleu opaque limitent la plaine et s’allongent en promontoires autour de la baie couleur de plomb. Quelques arbres çà et là, des étendues en friche, des espaces cultivés autour de rares maisonnettes, des pavots écarlates, par traînées, dans le vert poussiéreux des champs, des moutons qui paissent, des tsiganes qui mendient, des paysans qui passent, écrasant de leur poids de tout petits ânes, la vie intense du camp surpeuplé, et près du point de débarquement, le grouillement des hommes qu’on nettoie, qu’on nourrit, qu’on habille, qui se promènent les uns presque nus, les autres en simple chemise, les autres vêtus de l’uniforme français et coiffés du bonnet serbe… Un cargo noir sur le gris d’étain de la mer ; un cuirassé mouillé plus loin : tel est le cadre du tableau. Le centre, c’est la prairie où nous sommes. Vaste, herbeuse, elle monte, fermée d’un côté par une haute palissade de roseaux qui supporte un auvent de feuillage. De longues tables, parallèles à la palissade, sont dressées sous cet auvent. Au milieu de la prairie, une autre table, petite, couverte d’un linge blanc, figure un autel et supporte les livres, les vases sacrés, et un gros pain bis en couronne. Sur la droite, s’élève une stèle, décorée d’un cartouche où sont inscrits les noms des officiers et soldats défunts ; au bas de la stèle, un trophée naïvement composé : des armes, un vieil uniforme, une mitrailleuse. Le 15e régiment, massé par sections, avec sa musique et son drapeau, occupe trois côtés de la prairie. Dès que les généraux ont quitté leurs voitures, la Marseillaise et l’Hymne serbe les saluent. Ils remontent la pente, suivis de leur cortège, et se rangent derrière l’autel. et la cérémonie commence.

Slava, ce mot signifie « gloire. » La fête militaire d’aujourd’hui est, en effet, une glorification. Depuis des siècles, chaque famille serbe a coutume de fêter, à la date fixée par le calendrier, le saint qu’elle a choisi comme patron domestique, et qui est toujours un saint national. Suivant cette tradition, toutes les associations corporatives, tous les régimens de Serbie, ont un