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jour glorieux ! Les vieillards en parlent toujours… Alors, la petite Serbie regardait vers son aurore et son avenir ! On se souvient du temps où Kara-George se dirigeait vers la cité de Sïénitza, quand Sindjélitch allait vers Nich, quand tous les Serbes, se rassemblant, l’épée en main, s’élancèrent vers le combat et la vengeance…

« Près de Nich, le voïvode arrive ; il se retranche sur la colline de Kamenitza, attendant l’heure de combattre les Turcs… Les vagues de cavaliers couvrent le champ de bataille, s’approchent en tourbillonnant. La terre tremble, les sabres étincellent, la foudre tonne… Stévan Sindjélitch ricanait avec ses camarades en criant : « Regardez, mes faucons !… C’est la gloire ! Vous verrez bientôt une montagne de cadavres : les corbeaux noirs boiront leur sang !… »

« Et la lutte terrible commence. La balle siffle, le sang ruisselle. Les premières lignes tombent, mais les Turcs féroces ont soif de meurtre et s’élancent… Sindjélitch crie : « Courage, mes frères ! Tenez-vous bien, par Dieu, pour la liberté et l’honneur ! La vie en esclavage n’est rien ! Il faut mourir ou vaincre., Encore un moment, mes faucons ! N’épargnez pas la poudre ! Hourra !… Hourra !… »

« Et trois cents héros, descendans de Marko Kraljevitch, répondirent : « Hourra !… Hourra !… » mais en vain ! Sindjélitch vit bien qu’il devait mourir. Il jeta un coup d’œil vers le ciel, fit le signe de la croix, prit son pistolet et dit : « Pardonnez-moi, mes faucons ! » Puis il descendit vers la poudrière…

« Les Turcs arrivaient déjà… Ils sautent dans la tranchée, en grinçant des dents, comme des loups affamés, avides de chair et de sang. C’est le carnage…

« C’était la fin !… L’explosion terrible projette tout dans les airs ; les ténèbres enveloppent le sol, et l’on entend des cris : « Allah !… Allah !… »

« Le silence règne… Le brouillard se dissipe lentement, et le soleil radieux brille sur le champ de bataille… Mais à la place de la tranchée, il n’y avait plus qu’un même tombeau pour les Serbes héroïques et les Turcs immondes… »

Ainsi chante, — car sa déclamation est un chant, — le soldat-poète Dragomir Brzac, tandis que les chefs serbes l’écoutent, sous le toit de feuillage. Ainsi nos trouvères, dans les festins guerriers, après batailles et tournois, devant les clercs et les