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plus repoussée qu’attirée par le germanisme, et son tempérament est, en son fond dernier, irréductible au tempérament allemand.

De nous, elle n’a rien à redouter, ni l’annexion morale, ni la captation matérielle. Elle n’en attend que des élémens libérateurs. Seule, peut-être, des nations de l’Europe, elle nous aime pour des raisons uniquement morales, auxquelles les intérêts matériels ne font presque aucune contre-partie. Notre meilleur titre à ses yeux, c’est d’être ce que nous sommes, sans nous être donné la peine de l’attirer elle-même à nous. Ne serait-il pas temps de « reconnaître » par une juste réciprocité ce don gratuit de l’élite intellectuelle d’une noble nation ? Nous qui n’avons pas eu assez de trompettes pour célébrer les gloires artistiques ou littéraires de Scandinavie, de Russie ou d’Allemagne, avons-nous eu seulement une flûte pour moduler l’éloge de Johan de Meester, qui est pourtant de la lignée directe de nos Goncourt et de nos Maupassant ? Dans nos grands concerts, parfois si bizarrement panachés, avons-nous fait état, peu ou prou, soit de l’ancienne musique hollandaise, dont les airs sont parfois si pénétrans, soit de la moderne, qui s’apparente à la nôtre par plus d’un point ? Dirai-je ma confusion d’avoir eu à « découvrir, » à Amsterdam, l’admirable compositeur, et combien passionné de la France et de sa musique, qu’est M. Diepenbrock ? Faut-il ajouter que ce grand artiste, concentré, tendre et savant comme un César Franck néerlandais, a mis en musique des poésies de guerre de nos soldats[1], et que c’est en France seulement que cette musique antiallemande en tout sens est inconnue ? Mais pendant que j’y suis, puis-je taire qu’aux côtés de M. Mengelberg (non pas inconnu de Paris, mais infiniment plus connu à Francfort) grandissent de jeunes chefs d’orchestre, tels que M. Evert Cornélis, qui brûlent d’exécuter plus souvent de la musique française ? Dissimulerai-je que tout le mouvement musical hollandais est orienté vers la France, et que public, critiques musicaux[2],

  1. Notamment Le Vin de la Revanche, Les Poilus de l’Argonne, et Debout, les Belges !
  2. Le très distingué critique musical du Handelsblad d’Amsterdam, M. Mottijs Vermeulen, écrivait justement, le 8 mars 1917 : « La Suite pastorale de Chabrier résonne divinement dans sa naïveté et son jeu de couleurs variées. La Suite algérienne de Saint-Saëns est toute bruissante de mélodie et de rythme jeune. C’est de pareils ouvrages que nos jeunes compositeurs devraient apprendre l’instrumentation claire, transparente, maîtresse d’elle-même, sans même parler de la poésie et d’un enthousiasme aussi simple que divin. Cette musique ne représente aucune philosophie, aucune sorte d’héroïsme, et moins encore l’héroïsme pédagogique (lisez allemand) , mais rien que la beauté, l’amour, et l’art de la vie. »
    A Rotterdam, on peut relever le nom des compositeurs ou des exécutans français qui se sont produits dans cette ville sur le catalogue qui a été dressé, en dernier lieu, par les soins diligens de M. P.-J. van Wijngaarden.