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Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/624

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et des émotions d’artiste gravées dans son cœur fidèle. Il intéresse autant qu’il le peut sa jeune femme aux curiosités de Rome, aux usages du popolino, et on les entend rire ensemble aux courses des Barberi. Il arrive aussi au peintre de revêtir l’habit de gala, et le bailli de Breteuil, qu’il a connu jadis, lui réserve une place de choix au dîner que raconte Bergeret : « Nous avons dîné chez M. de Breteuil, ambassadeur de Malte, très amateur et curieux des arts de toute espèce. Il avait rassemblé une douzaine de personnes, tant amateurs que peintres et sculpteurs. Non seulement il a de quoi occuper par ses tableaux et portefeuilles, mais par les marbres précieux et pierres qu’il a été à portée de rassembler depuis quinze ans… Après le dîner jusqu’au soir, les portefeuilles de toute espèce ont fait notre amusement, et plus agréable que tous les opéras. »

Bergeret tient à mener à Rome l’existence de l’amateur instruit, dont son compatriote, l’ambassadeur de l’Ordre de Malte, lui offre un modèle accompli ; mais cette vie ne va pas sans fatigue. Il a des journées fort occupées. Le matin, il dessine avec son peintre, étudie les estampes achetées la veille, les pierres gravées et les empreintes de soufre qu’apportent des antiquaires empressés ; on lit aussi l’histoire romaine, les auteurs anciens, les guides ; on prépare sur le plan les promenades de la journée. A onze heures commence une promenade à pied, qui dure quatre ou cinq heures. D’ordinaire, le dîner est alle tre, en famille, à moins qu’on n’ait prié des élèves du Palais Mancini ou leur directeur avec sa sœur, mademoiselle Natoire. Parfois, Bergeret va entendre l’opéra ou l’opéra-buffa, mais, seulement pour s’y montrer, car il ne peut supporter longtemps la musique, et il rentre avant la fin du spectacle pour achever la soirée avec sa « bande. » Il a toujours à la maison quelques pensionnaires du Roi, et l’on devine le mouvement que met Frago en ces réunions, où ses jeunes confrères l’écoutent comme un maître et l’aiment comme un camarade. On ne s’ennuie point avec lui, même les jours de pluie, en prenant les glaces de Bergeret. « La pluie ne discontinuant pas, nous nous enfermons avec nos dessins, après avoir eu à dîner trois pensionnaires de l’Académie, avec lesquels la conversation n’a pas tari sur toutes les beautés qui sont dans Rome et sur les mauvaises choses que les peintres du pays et les architectes osent mettre à côté, car on ne peut voir dans le moderne une architecture plus désordonnée. »