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le jeu du puissant mécanisme : le mouvement par l’aile gauche est manque, le centre n’a pas donné tout ce qu’on attendait de lui et, tandis que la branche droite de la tenaille s’avance pour l’encerclement, elle s’agite dans le vide, puisque la branche gauche s’est arrêtée, impuissante, aux approchés de la Trouée de Charmes.

Ainsi se réalisent, même dans la victoire, les prévisions de Moltke lui-même et, ajoutons, celles de la plupart des écrivains militaires qui avaient étudié les conséquences probables des nouvelles méthodes allemandes.

L’heure n’est pas venue d’aborder cette étude à la lumière des faits. Cependant, pour que mon jugement ne paraisse pas aventuré, je crois devoir rappeler qu’il n’est pas isolé et que la plupart des écrivains militaires compétens avaient prévu ce qui s’est produit en 1914.

Le général Lanrezac, au cours de l’article Stratégie du Dictionnaire militaire, envisage les conséquences d’une large manœuvre d’enveloppement conçue d’après les idées ayant cours en Allemagne. Il dit :


La manœuvre stratégique qui mettra en œuvre, de part et d’autre, plusieurs centaines de mille hommes aura-t-elle pour fin une bataille gigantesque à laquelle participeront la grande majorité des troupes actives des deux adversaires, ou bien les forces opposées, en raison même de leur grandeur, se fractionneront-elles en groupes stratégiques distincts ? En un mot, la décision sera-t-elle obtenue par une bataille unique, gigantesque, livrée sous l’impulsion immédiate du commandant en chef, ou, au contraire, sera-t-elle la résultante d’une série de batailles partielles livrées par des groupes d’opérations reliés stratégiquement mais non tactiquement ? (C’est évidemment vers le premier système qu’à la suite de Schlieffen s’était engagé l’état-major allemand.)

En fait, continue l’écrivain militaire, l’assaillant sera toujours entraîné à étendre beaucoup son front. par le désir d’envelopper une des ailes du défenseur ; il s’efforcera de réaliser l’enveloppement stratégique qui promet une victoire plus fructueuse, attendu qu’on domine, même avant la bataille, une partie des routes de retraite de l’adversaire et qu’on prépare, en outre, l’enveloppement tactique. L’assaillant s’étendant pour envelopper, le défenseur fera de même pour échapper à l’enveloppement et contraindra, par suite, l’assaillant à s’étendre davantage encore. Mais, à prendre ainsi un front très