Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/686

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Leurs femmes restèrent plus d’un an sans recevoir d’eux la moindre nouvelle,

À partir du mois de janvier 1917, surtout au moment où les Allemands virent échouer définitivement leurs manœuvres de paix, leur fureur se manifesta par toutes sortes de consignes, aussi féroces que stupides, exécutées avec une espèce d’automatisme machinal. Tous les arbres du jardin de M. Sébline furent abattus, et la Kommandantur prit plaisir à préparer sous ses yeux la mine qui devait faire sauter sa maison avec le reste du village.

Condamné à la déportation, au-delà du Rhin, au moment où il quitta sa demeure, quelques officiers allemands, debout sur le perron, ne purent s’empêcher de le saluer, la main à la casquette.

— Messieurs, dit-il, chacun sert sa patrie comme il le peut ; moi, j’offre à mon pays ma vie et mes souffrances. Vive la France !

Sa présence fut un réconfort pour les malheureux qui, courbés, trébuchant, frissonnant de froid et de faim, sous un ciel gris, piétinant la boue et la neige, suivaient en un long convoi, escortés par une double file de baïonnettes, le chemin de Flavy-le-Martel.

Ce fut la dernière journée d’une existence consacrée tout entière au bien public, et dont les momens suprêmes sont beaux et douloureux comme l’agonie d’un martyr. Les Allemands n’eurent pas honte de tourmenter jusqu’au bout ce vieillard mourant. Ils le forcèrent à rester, de dix heures du matin à sept heures du soir, en gare de Flavy-le-Martel, dans un wagon de marchandises, sur un banc de bois. La température était glaciale. Le malade avait froid, grelottait, ne se plaignait pas. Ainsi que Mme Sébline, qui voulut partager avec lui les affres de ce long supplice, il n’avait pu prendre aucun aliment depuis l’instant du départ. Enfin, par une nuit noire, le wagon où il se trouvait fut accroché à un train en partance. On stoppa en gare d’Aulnois. Ensuite le train fut refoulé à un kilomètre en arrière. Sommé de descendre et de franchir à pied cette distance, M. Sébline avait à peine fait dix pas qu’il tomba, sans que les quatre hommes qui l’escortaient, baïonnette au canon, lissent le moindre geste pour le relever. Une veuve qui habitait près du chemin de fer, avec son fils et son frère, le recueillit