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militaire, il lui plaisait de ne rien épargner. Les musiciens du temps, y compris un Lulli, ne dédaignaient pas de composer pour l’armée des airs de marche, voire de simples batteries de tambour. Dans l’orchestre militaire, une place d’honneur était alors réservée aux timbales. On cite un régiment qui n’en possédait pas moins de deux paires, enlevées à l’ennemi. Le « timbalier, » dit un document contemporain, « doit être un homme de cœur et chercher plutôt à périr dans le combat que de se laisser enlever avec ses timbales… Il doit avoir un beau mouvement de bras, et l’oreille juste, et se faire un plaisir de divertir son maître par des airs agréables dans les actions de réjouissance… Il n’y a pas d’instrument qui rende un son plus martial que la timbale, principalement quand elle est accompagnée de quelques trompettes. »

On le voit, « la fiancée du timbalier » n’avait pas fait un mauvais choix. Il semble que les compositeurs du XVIIe siècle aient deviné quelle expression, quelle éloquence même, cent cinquante ans plus tard, le plus grand, le plus héroïque des musiciens donnerait aux timbales. Dès l’andante de sa première symphonie, Beethoven les accorde comme on ne l’avait pas fait encore. Il essaye en quelque sorte leurs notes solennelles. Il les prépare à leur fonction, à leur dignité prochaine. Dans la quatrième symphonie, il déploie leur magnificence sombre. Au cours du premier morceau (seconde reprise), la merveilleuse rentrée du thème principal se prépare, se développe et s’achève sur un roulement de timbales tel que jamais on n’en avait entendu. Mais surtout, c’est dans l’adagio que rayonne la beauté singulière d’un dessin, ou d’une « figure » de timbales. Ici, pas même un roulement : un simple accent, un appui régulier de la dominante sur la tonique. Cet accent, lorsque les timbales l’empruntent à d’autres instrumens, prend un caractère de gravité sans pareil. Çà et là, tandis que chante une mélodie auguste, les timbales interviennent. C’est elles qui semblent rythmer de leurs pulsations puissantes le cours d’une sereine pensée et d’une vie heureuse ; elles qui creusent le plus avant l’abîme mystérieux du rêve, et l’abîme aussi d’une âme, la plus profonde peut-être d’où s’exhala jamais un soupir.

Le XVIIIe siècle a produit, en la personne de Maurice de Saxe, un grand soldat mélomane. L’auteur des Rêveries sur l’art de la guerre prétendait même reconnaître une certaine analogie, au moins étymologique, entre le terme de « tactique » et le mot allemand « Takt, » qui signifie mesure. La musique, à son avis, était bien plus qu’un « ornement militaire. » Il la tenait pour un élément d’ordre, de mouvement