humains, aimant leurs hommes de cette rude, mais parfois tendre affection née des dangers courus ensemble et des fatigues ensemble supportées, étaient peu portés à sévir ; on eût compté les chefs durs ou simplement sévères. Un des hommes qui virent les armées d’Ancien Régime et celles de la République, le lieutenant-général de Bouillé, ne dissimule nullement l’étonnement que lui causait le changement apporté dans les mœurs militaires entre 1789 et 1795 et en tirait une philosophie : « On remarque que l’on a presque toujours vu la discipline plus rigoureuse chez les peuples libres que chez les autres. Quand les Français se sont constitués en République, ils ont établi une discipline extraordinaire dans les années. »
La République eut fort à faire ; car si l’armée que lui léguait la Monarchie était, encore que rompue aux combats, fort indisciplinée avant 1789, elle semblait s’être littéralement dissoute au premier souffle de la Révolution.
A cela rien d’étonnant. La France secouait tous les jougs ou les brisait. La discipline monarchique qui, à la veille de 1789, tenait assemblés les élémens de la nation, succombait à la suite des événemens que l’on sait. La liberté, acclamée, proclamée, grisait les âmes. L’ordre ancien s’écroulait, mais l’ordre nouveau ne pouvait en quelques mois s’organiser. Si préparée qu’elle fût par un siècle de philosophie, la Révolution éclatait brusquement et il est plus facile de démolir que de bâtir ; il serait encore plus vrai de dire qu’on démolit plus vile qu’on ne bâtit. Pour la plupart de ceux qui faisaient la Révolution, juristes, légistes, moralistes, bourgeois qui aspiraient à la liberté et avaient horreur de l’anarchie, le but était de fonder simplement un meilleur ordre. Presque tous avaient dans leur poche des projets de constitution et ils entendaient substituer à la discipline royale, déjà tombée en ruines, une discipline nationale, forte de l’assentiment général. Mais c’est presque rêver l’impossible que de concevoir cette substitution comme une opération se pouvant faire dans le calme par une assemblée, — pareille à une Académie des Sciences morales et politiques, — (délibérant à tête reposée et remplaçant automatiquement tout règlement aboli par un nouveau règlement, toute loi abrogée