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cette effervescence ne se fût tournée assez vite contre lui. Mais précisément l’Europe, persuadée que la France se dissolvait, nous laissait en paix, bien résolue, lorsqu’elle croirait le moment venu, à tomber sur un État en ruines et une armée en anarchie. Bien plus, l’Assemblée Constituante proclamant solennellement, le 22 mai 1790, que « la Nation française renonçait à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes, » les pacifistes allaient partout proclamer qu’en se désarmant généreusement, la France fondait la paix perpétuelle. En vain Mirabeau s’était-il écrié qu’il fallait attendre que l’Europe se montrât prête à désarmer plus effectivement : « Jusque-là la paix perpétuelle demeure un rêve, avait déclaré le tribun, et un rêve dangereux s’il entraîne la France à désarmer devant une Europe en armes. » Robespierre avait, lui, déclaré que « la France devait regarder ses limites comme posées par les destinées éternelles. » Et, de très bonne foi, il était convaincu, et presque tout le monde avec lui, que l’Europe les regardait du même œil. Or, deux ans après, celle-ci se jetterait sur ces « limites » et les franchirait, nous provoquant à cette guerre de conquête qui devait nous porter sur le Rhin et les Alpes, au-delà du Rhin et des Alpes, jusqu’à Naples, Vienne, Berlin, Cadix et Moscou, — donnant un démenti ironique aux déclarations de la Constituante et aux oracles de Maximilien Robespierre.

Mais si, en 1790 et 1791, l’Europe se préparait à nous envahir, elle n’en faisait pas mine, et, jusqu’au printemps de 1792, les pacifistes continuèrent à proclamer toute guerre impossible, puisque nous ne la voulions pas.

Il va sans dire que, dans ces conditions, l’armée ne se pouvait ressaisir. Elle continuait à vivre dans une anarchie en apparence incurable. N’étant pas inquiétée par la perspective d’une guerre, son « patriotisme » ne s’excitait que contre « les ennemis du dedans. » Et à mesure que se développait et s’accentuait le mouvement, l’année se faisait plus « jacobine » en se proclamant plus « patriote. » En fait, les officiers parfois désespérés, — M. Pierre de Vaissières a publié une poignée de leurs lettres[1], — n’osaient plus réagir. Le pis est que beaucoup d’entre eux se laissaient entraîner

  1. Lettres d’aristocrates. Perrin, 1905.