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à sortir et le désordre, — en attendant, — se donnait carrière. Précisément parce qu’il était un partisan sincère des idées de 1789, le ministre prévoyait pour la liberté naissante les inconvéniens bientôt funestes de l’anarchie militaire. Le 4 juin 1790, il formulait ses craintes : « Du moment où se faisant corps délibérant (le corps militaire), il se permet d’agir selon sa résolution, le Gouvernement, quel qu’il soit, doit dégénérer en démocratie militaire, espèce de monstre qui a fini par dévorer les empires qui l’ont produit. » Et des applaudissemens saluaient sur tous les bancs de l’Assemblée cette si juste formule.

Dès les premiers mois, l’Assemblée avait entendu proclamer la nécessité d’une discipline. Le décret du 14 septembre 1789 débute par une formule qui devait se retrouver successivement sous la plume du maréchal Gouvion Saint-Cyr dans le décret du 13 mai 1818, sous celle du maréchal Soult dans celui du 2 novembre 1833 : elle a traversé le siècle ; nous l’avons tous cent fois répétée dans les murs de nos quartiers : « L’Assemblée Nationale, convaincue que la principale force des armées consiste dans la discipline, qu’il est de son devoir de la maintenir en même temps qu’il est de sa justice d’en déterminer les bases… » Mais, en fait, après ces considérans prometteurs, le décret qui suivait frappait plus les officiers « despotes » que les soldats « mutins. » Si elle « déplorait » les actes d’indiscipline chaque fois qu’ils lui étaient signalés, l’Assemblée s’en tenait là, entendant rester populaire dans l’armée ; elle était d’ailleurs portée à n’étouffer l’anarchie que si elle était sûre que, ce faisant, elle n’étoufferait rien de la liberté. La loi militaire du 29 octobre 1790 s’inspirait d’un principe tout à fait inconciliable avec les déclarations du 14 septembre 1789 : « les bases de l’égalité et de la liberté individuelles devaient être soigneusement conservées dans toutes les institutions, » y était-il dit. C’était, — puisqu’il s’agissait d’une loi militaire, — vouloir bâtir sur le sable ; il est très clair que le soldat sous les armes ne peut être assimilé à un autre citoyen. George Washington, fondateur de la démocratie américaine, venait de formuler sur ce point son opinion avec une brutalité qui recouvrait un entier bon sens : « Il faut que dans une armée, avait-il dit, règne un parfait despotisme. » « Après une fatale expérience, écrivait-on quelques années après, on est