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regarde, celle de demain, cachée dans l’obscurité du présent, celle d’hier, debout dans le deuil du passé. Et celle-là vous crie, avec des mots terribles, de quelle responsabilité se chargent les Assemblées quand, aux heures critiques, au lieu d’exiger toute la vérité, elles obéissent aux sommations d’un pouvoir aveuglé[1]. » Dans tout grand orateur, il y a un poète qui se dissimule, et qui, parfois, « éclate aux esprits : » l’exemple d’Albert de Mun n’est point pour démentir cette loi générale.

« L’éloquence continue ennuie, » a dit Pascal. Celle d’Albert de Mun n’ennuie pas, parce qu’elle n’est pas continue. Rien de plus varié, en effet, par la matière comme par le ton, que cette œuvre oratoire qui remplit plus de sept gros volumes. Questions politiques et questions sociales, questions religieuses et questions militaires, questions pédagogiques et questions économiques, questions coloniales et questions administratives, Albert de Mun ne se laisse rebuter par aucun des problèmes qui s’imposent à l’attention de l’homme politique. Dès qu’un intérêt supérieur, patriotique ou religieux, est en jeu, il croit de son devoir d’intervenir et d’exprimer son opinion avec fermeté. Assurément, toutes ces questions, il ne les a pas étudiées en « spécialiste, » mais en « honnête homme ; » il les a étudiées pourtant. De bonne heure convaincu qu’« aucun discours, écrit ou non, ne peut être vraiment sérieux, s’il n’a été fortement préparé par la lecture et par la méditation[2], » il a pris l’habitude, qu’il ne devait jamais perdre, du travail assidu, consciencieux, acharné, le seul qui compte, le seul qui donne des résultats durables. Et s’il s’est trompé quelquefois, s’il lui est parfois arrivé, comme à tout le monde, de ne point saisir le point vif d’une question, de ne pas l’embrasser sous tous ses aspects, ce n’est point manque d’étude ou de réflexion ; on peut le discuter, on ne peut lui reprocher de parler à la légère. — À cette remarquable variété d’information et de pensée correspond une grande diversité de ton. Certes, le ton demeure toujours élevé : il l’est jusque dans la discussion des statistiques et jusque dans l’invective ; mais il n’est point tendu. Cette éloquence qui s’élève sans effort jusqu’aux plus hauts sommets n’est point dépaysée parmi les coteaux modérés ; elle ne fuit

  1. Pour la Patrie, p. 189.
  2. Ma vocation sociale, p. 257. Voyez toute la page où Albert de Mua nous donne quelques brèves indications sur sa méthode oratoire.