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l’inconnu a conservé sur les descendans des aventuriers historiques une telle puissance que les Norvégiens émigrés égalent en nombre la population demeurée en Norvège. D’où la fierté et même l’orgueil ne des combats victorieux sur les forces de la nature ; puis, le goût de l’indépendance, presque farouche ; une franchise brusque, de marins et d’hommes d’action ; peu de sentiment, ou plutôt une sensibilité différente de la nôtre ; un intellectualisme limité, d’ailleurs très récent, et en quelque sorte baignant dans la réalité. De la générosité néanmoins, de la bonté même, mais surtout de la netteté, de la décision, et un sens pratique des affaires mêlé à tout, à la politique comme à l’enseignement, à la vie collective comme à la vie individuelle, et nulle n’est plus « individualiste. » Le progrès y est en action, sans théorie comme sans chimère. Et le positif de ces actes enchaînés, de ces résultats vérifiés, n’en mène pas moins, par des échelons solides, jusqu’à un idéal qui n’est pas très éloigné du nôtre. Chose remarquable, c’est par une marche tout à l’opposite de notre marche que la Norvège, démocratique sous un roi, rejoint la France républicaine et se place moralement à ses côtés dans la lutte actuelle. Elle a jalonné ses étapes vers la liberté par l’abolition, d’abord, des titres de noblesse, voilà plus d’un siècle ; puis, par une participation croissante du peuple au gouvernement. Pays de suffrage universel, où votent non seulement les hommes, mais les femmes ; pays de discipline libre et de revendication personnelle à outrance (se rappeler les héroïnes d’Ibsen et de Björnson), il lui faut un droit, une égalité, inscrits dans les faits tangibles, et non pas proclamés seulement au fronton des monumens publics. Son esprit « réalisateur, » encore plus que réaliste, le pousse à vouloir que les principes s’incarnent en démonstrations vivantes. D’ailleurs ces principes, que la presse et l’opinion arborent unanimement, la Norvège sait bien d’où ils lui viennent, et que ce n’est pas de l’Allemagne. Toutes les pentes de son intelligence, comme toutes les ouvertures de ses fjords, courent vers l’Ouest. Géographiquement et politiquement, elle tourne le dos à la Suède. Depuis qu’elle a pratiqué, il y a douze ans, sa propre opération césarienne, l’enfant de liberté dont elle a accouché grandit avec une énergie sans pareille. Et la guerre mondiale, en la rapprochant encore plus de l’Angleterre qui est sa grande terre de consommation et d’échanges, ne l’a pas moins