incidens que nous essayerons de retracer et d’où nous verrons sortir la triple métamorphose d’un opéra destiné à demeurer célèbre sous une forme et sous un nom que la première version ne faisait pas prévoir.
Le 28 août 1838, Scribe signait avec la direction de l’Opéra un traité stipulant que le 1er novembre suivant, il livrerait, pour être mis en musique par Halévy, un opéra en quatre actes, intitulé le Duc d’Albe, et que, faute de l’avoir terminé à cette date, il payerait une indemnité de 4 000 francs. Au contraire, si l’œuvre du librettiste était achevée, on lui devait pareille prime, payable dans l’année, que l’ouvrage eût été représenté ou non. Scribe se montra toujours trop exact à tenir ses engagemens pour n’être pas prêt à l’époque convenue. Il le fut. C’est le musicien, c’est Halévy, qui n’accepta pas le livret qu’on lui proposait. Les destinées de l’Académie royale de musique étaient alors confiées à Charles-Edmond Duponchel, un orfèvre dont on fit par deux fois un directeur de l’Opéra et qui ne s’en tira pas plus mal que d’autres. A défaut d’Halévy, il se préoccupa d’un autre musicien, et un nouveau traité intervenait entre Scribe et lui, le 13 janvier 1839, deux mois après que la convention précédente eût dû être exécutée. Le second musicien désigné était Donizetti, et la remise de la partition du Duc d’Albe, ainsi que sa représentation, se trouvaient reportées à des époques déterminées, avec stipulation d’une indemnité de 30 000 francs payable par celle des parties qui manquerait à ses engagemens.
Donizetti se trouva-t-il moins inspiré qu’il ne l’attendait par le libretto de Scribe ? Prompt à l’enthousiasme, et changeant par nature, ne garda-t-il pas son illusion première ? Je ne sais. Toujours est-il qu’il mit plus longtemps que d’ordinaire à traiter ce sujet et peut-être ne l’acheva-t-il jamais complètement. Scribe, en tout cas, voulut sauver sa mise et on va voir comment il s’y prendra. Laissant de côté Donizetti, raison vacillante qui s’éteignait lentement, il se retournera vers le directeur de l’Opéra, qui était passé entre les mains de Léon Pillet. et le mettra en demeure d’exécuter les conventions. Représenter l’œuvre commandée ou payer le dédit, telle sera désormais l’alternative où l’auteur dramatique enfermera le directeur. Journaliste d’antan, avocat, Léon Pillet avait connu Scribe dans quelque étude de procédure ou dans une salle de rédaction. Rien n’y fera : il n’en sera pas moins prisonnier de ce dilemme rigoureux. Venu à l’Opéra pour seconder Duponchel, Léon Pillet n’avait pas tardé à le supplanter. Il dirigeait l’Académie royale de musique dès 1843. C’était une nature plus énergique, ou si l’on veut, plus obstinée et plus combative, ayant des idées sur l’art dramatique, sur les auteurs, sur les artistes, et ne craignant pas de les exprimer et de