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ainsi qu’en argent, et moi je refuse parce que vous croiriez encore m’obliger et qu’il faut que je vous dise enfin toute ma pensée, que vous allez sans doute trouver bien pleine d’orgueil : c’est que, quand je donne un ouvrage à une administration, ce n’est pas à moi que je crois rendre service.

Quand j’ai donné à l’Opéra la Muette et la Juive, Robert et les Huguenots, Gustave, le Philtre ou la Bayadère, quand j’ai donné aux Français Bertrand et Raton, Valérie, la Camaraderie, la Chaîne ou le Verre d’eau, quand j’ai donné à l’Opéra-Comique la Dame blanche ou le Domino noir, la Part du diable ou la Sirène, quand j’ai donné au Gymnase des œuvres qui ont payé ses dettes et-fait sa situation, aucun de ces administrateurs n’est venu me dire que je lui devais de la reconnaissance…

EUG. SCRIBE.


Voilà qui est parler. Mais ce regain de dignité eût été plus impressionnant, s’il fût venu après moins de chicane et pour une cause moins intéressée. Après cela, il n’y a plus place que pour un procès. Scribe l’intente devant le tribunal de commerce de la Seine, le 16 décembre 1844, lorsque Léon Pillet fait représenter la Marie Stuart de Théodore Anne et Niedermeyer. En l’espèce, et pour le Duc d’Albe, il semble bien que, juridiquement parlant, Léon Pillet fût dans son tort : les conventions signées subsistaient au milieu de tous les incidens de cette cuisine dramatique. Il dut payer le dédit et s’exécuta sans bonne grâce. Désormais, tous bons rapports entre Scribe et lui étaient rompus. Jamais l’antipathie du librettiste ne se démentit, après le procès, comme le prouve la note suivante, composée par Scribe pour son cousin l’avocat, qui avait songé à s’entremettre entre les deux adversaires. Elle montre quelle âpreté mettait Scribe à défendre ses intérêts et qu’il n’en retranchait rien, quand son amour-propre avait pu être atteint. La voici :


A son cousin.

Tous les rapports entre directeurs et auteurs reposent sur deux bases : l’amitié ou l’intérêt.

Ainsi aux Français, ainsi à l’Opéra-Comique, ainsi au Gymnase, les directeurs sont excellens pour moi, font tout pour m’être agréables. Il y a réciprocité de ma part. De là affection entre nous, et si l’on me demande un ouvrage avec des