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chambre pleine de lumière où le voyageur venu le matin de Paris en automobile allait s’écrier intérieurement en le retrouvant sur son lit funèbre, dans son manteau bleu d’horizon, les trois étoiles sur sa manche, le crucifix sur la poitrine et un chapelet dans ses mains jointes : « Jamais je ne l’avais vu si beau ! »

Des funérailles solennelles devaient être faites à Paris à Grandmaison, mais la véritable cérémonie et la plus poignante, comme on le voit encore dans la Mort du Chef, avait lieu sur le front même, au quartier général, dans le parc dépouillé du château d’Ecuirie. La, ne défilaient ni les « lignes impeccables » de la garde républicaine, ni les « cuirassiers rutilans, » ni les canons roulant à « intervalles réglementaires, » mais des fantassins en « uniformes déteints, » les molletières déchirées, la barbe longue, la face hâve et « la bêche sur le sac, » des cavaliers aux manteaux « délavés » sur leurs chevaux au poil inculte et crotté, et les pièces de 75 toutes boueuses, toutes maculées, avec leurs « boucliers tout bossues. » Et là aussi, du haut du grand perron, le commandant en chef de l’armée, le général Maunoury, qui devait bientôt lui-même tomber aveuglé par les balles dans les tranchées où il venait également visiter les hommes, adressait l’adieu suprême à son camarade, et s’écriait de sa voix vibrante, sous le jour « brouillé » et pâle du matin, au bruit lointain du canon, dans la mélancolie du paysage d’hiver, devant les troupes toutes fangeuses de la glorieuse boue des batailles :

— Général de Grandmaison, au revoir !


UN GARÇON DE FERME

Grenadier au 17e bataillon de chasseurs à pied, Noël était un jeune paysan des Vosges, du village des Sèches-Tournées, près de Fraize, à quatre kilomètres de la frontière, dans la belle et industrieuse vallée de la Meurthe. Fils de petits cultivateurs, et placé d’abord dans une des filatures du pays, puis revenu à treize ans chez ses parens, il était garçon de ferme lorsque le service militaire l’avait pris aux travaux des champs. Bon sujet, et.d’un bon caractère, il avait fait un excellent soldat, et, le 10 juillet 1915, on pouvait lire au Journal officiel :