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comme un duel où l’on ne cessait, de part et d’autre, de parer ou d’attaquer, et les Allemands, le 9 mai, dans cette lutte de toutes les heures entre le versant et le bas de la colline, parvenaient, à la nuit, à se faufiler dans le bois où ils prenaient la moitié d’une de nos tranchées, pendant que Noël et ses compagnons se maintenaient dans l’autre, simplement séparés de l’ennemi par une cloison de sacs de terre. Alors, d’une partie de ce couloir à l’autre, une lutte acharnée à coups de grenades avait commencé dans l’obscurité. Nos grenadiers lançaient sans relâche les leurs par-dessus les sacs, recevaient celles des Allemands, ripostaient, en recevaient d’autres, et leur répondaient encore. Le combat durait dix heures, et Noël, dès la quatrième, restait le seul vivant des siens dans son morceau de tranchée où tous étaient tombés, mais n’en continuait pas moins à combattre, et seul, dans la nuit, du fond de son boyau, lançait ses grenades avec une telle fureur qu’il faisait croire aux Allemands à la présence de toute une petite troupe. Au bout de six heures, il était encore là, se démenant et luttant toujours, arrachant et lançant toujours ses grenades, et se garant comme par miracle, derrière le mur de sacs, contre celles de l’autre côté. Le jour, cependant, allait poindre, et le feu des Allemands commençait à diminuer. Ils se retiraient en effet peu à peu, pour regagner leur colline, en voyant paraître l’aube, et bientôt ne répondaient même plus… La tranchée nous restait et, depuis déjà quelques instans, Noël n’y recevait plus rien, quand une effroyable explosion l’y couvrait de terre et de branches d’arbres… Une marmite, envoyée du coteau, venait d’éclater près de lui et lui avait broyé la cuisse…

Où est le Français connaissant l’histoire de ce garçon de ferme, et qui n’eût pas désiré le voir ? Il avait quitté la rue de la Pompe pour un hospice de la banlieue où l’on hospitalisait les convalescens, mais revenait encore, chaque jeudi, revoir le directeur et le personnel de son ancien hôpital, et je me rendais, un jeudi, à la belle maison Anne-Marie, si avenante et si claire autour de son ancien cloître, avec ses grandes salles et ses grands corridors tout éclatans de jour et de blancheur.

A l’heure prévue, comme toujours, il arrivait sur ses béquilles et sa jambe unique, et nous serrions la main à un superbe et gentil garçon, de haute taille, l’œil gai et franc, et dont la figure, d’une naïveté juvénile et comme d’une fraîcheur