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JEAN-MARC BERNARD
Dauphinois.

Beaucoup de lettrés se rappellent le noble et charmant poète qui aimait à signer ses vers : « Jean-Marc Bernard, Dauphinois. » On avait surtout remarqué de lui : La Mort de Narcisse, et l’un de ses critiques, qui fut aussi de ses intimes, M. René Fernandat, a dit à propos de ce poème : « Ce Narcisse moderne est un frère d’Obermann… Il s’analyse avec moins de complaisance que le héros de Senancour, mais on sent qu’il demande à la pensée la plus profonde de ses joies, alors même qu’elle lui révèle en les aggravant, les souffrances de son cœur… A force de courage, il arrive à mépriser la mort qui, d’abord, l’effrayait tant, et il sacrifie gaiment sa vie… Son besoin de sympathiser avec tous les êtres qu’il sent proches de son âme maintient un lui une fraîcheur de jeunesse et une ferveur d’émerveillement qui le poussent à toujours chanter. Jean-Marc Bernard épicurien fait crédit à la nature… Il y a de l’imprudence en lui, de la faiblesse, mais de la foi aussi… » Souffrance, épicuréisme, ferveur d’émerveillement, effroi, puis mépris de la mort, foi, sacrifice de sa vie ! Que ne dévoilent ou ne voilent pas de tels mots sous la plume d’un confident, et qui dira jamais toutes les hérédités toujours prêtes à se réveiller ou à se contrarier dans l’âme d’un jeune Français d’avant la guerre ? Qui pourra jamais savoir quels combats de conscience ou de sentimens l’auront déjà déchiré, lorsqu’il ira s’offrir à la mitraille tout en n’ayant rien d’un soldat, mais décidé à sacrifier à sa patrie ses rêves et ses sensibilités d’artiste, à les offrir en holocauste à son pays ?

Les Bernard étaient des bourgeois terriens de cette magnifique et ombreuse vallée du Dauphiné qui s’allonge le long du Rhône entre Salaise et Saint-Rambert-d’Albon. Au moment de la naissance de Jean-Marc, le père était sous-directeur du Crédit Lyonnais de Valence. Ils ne pouvaient donc être qu’assez rarement dans leur propriété de Saint-Rambert, et les fonctions de M. Bernard les obligeaient même, par la suite, à s’expatrier pendant une quinzaine d’années. Envoyé d’abord à Genève, il y avait résidé sept ans, et là, le petit Jean-Marc avait reçu l’éducation des Jardins d’Enfans, de ces fameux Kindergarten qui