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conspiration de l’opinion publique. Les provocations allemandes nous réveillaient enfin de notre long sommeil pacifique. Nous recommencions à comprendre tout le sens de cette parole de Prévost-Paradol dans la France nouvelle : « Il n’y a point de milieu pour une nation qui a connu la grandeur et la gloire, entre le maintien de son ancien prestige et la complète impuissance. » Une jeunesse nouvelle se levait, dont Albert de Mun saluait avec une joie tremblante les impatiences et les ardeurs. « Elle est lasse, disait-il, de notre deuil stérile. Elle attend, inconsciente du besoin qui la tourmente, au lieu des glas funèbres, des appels de clairon. Qui les sonnera[1] ? » Et ailleurs : « On dirait qu’un renouveau de foi patriotique s’est allumé dans les âmes. Est-ce bien cela ? Je l’écris en tremblant[2]. » Mais d’autres fois il ne tremblait pas. Saluant un jour, à propos d’un monument inauguré sur le plateau d’Illy, les héros de Sedan, il s’écriait : « Quand on parle d’eux, mon cœur de vingt ans se remet à battre dans ma vieille poitrine, pareil au sang du cheval de troupe réformé par l’âge, qui bondit dans ses veines à l’appel de la trompette. » Et se retournant vers « les jeunes soldats de son régiment toujours aimé, » il leur adressait un « confiant hommage : » « L’école, disait-il, est toujours ouverte, conservant à la France sa réserve de « braves gens. » Quand l’heure sonnera, ils répondront comme Galliffet : « Tant qu’il en restera un. »

L’heure ne devait plus beaucoup tarder à sonner. Après Tanger, Algésiras, Casablanca, — Agadir. Cette fois, la mesure était comble.


Le coup d’Agadir, a écrit Albert de Mun, le coup d’Agadir avait frappé, comme la baguette magique, le cœur de la France engourdie. En un moment, elle fut debout ; ses fils, ranimés, se regardèrent dans les yeux, et reconnurent le visage ancestral. Il y eut un cri, qui courut comme un choc électrique : « En voilà assez ! »

Vous souvenez-vous ? Cet été, au milieu de l’angoisse qui nous étreignait, quelle joie soudaine, et, chez nous autres, les vieux, quel orgueil rajeuni ! Et vous devinez bien ce que je pense, au fond du cœur : vous le pensez aussi. Jamais heure ne fut plus propice ! La brutalité germanique avait mis tout le monde à nos côtés ! La nation était prête ! Au lieu de cela… Ah ! il faut enfermer cette douleur !

  1. Pour la Pairie (Émile-Paul), p. 196-197.
  2. Id., p. 171, 207, 222.