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l’admiration ont coulé de ses yeux, et le livre est tombé de ses mains : » à propos de cette page, digne de Bossuet, on serait tenté d’en dire autant.

Et nos premiers succès, en se succédant, suggéraient au vieux soldat qu’était Albert de Mun, avec de superbes paroles de confiance, d’ardentes, de palpitantes visions de batailles :


Ah ! comme je vis avec vous, comme je sens vos cœurs battre, mes camarades, en ces jours d’attente solennelle ! Je vous vois là, en contact avec l’ennemi, à quelques kilomètres de lui, écoutant le bruit des combats avancés, guettant, calmes et tout de même excités, l’heure proche de la bataille. Les aéroplanes parcourent le ciel, vont et viennent ; les chevaux sont sellés et paquetés. Et, demain, tout à l’heure, pendant que j’écris, peut-être, le canon va tonner sur toute la ligne. Alors, comme le 4 août 1870, à quatre heures du soir, devant Borny, vous vous lèverez tout droit, officiers et soldats, en criant : « Vive la France ! » Et nous qui vivons, les yeux rivés sur vos gestes lointains, qui vivons le cœur serré d’angoisses, parce que nos fils sont parmi vous, mais l’âme frémissante, parce que vous êtes la patrie en armes, nous vous répondrons d’ici par le même cri évocateur de gloire : « Vive la France ! »


Mais en attendant les chocs décisifs, les heures se traînaient, lentes, fiévreuses, angoissées. « Le temps a passé, et maintenant, c’est l’attente, lourd manteau jeté sur nos pensées, que nous traînons partout, dans l’activité des fonctions diverses où nous essayons de servir la patrie. » Pour nous aider à les passer, ces heures « solennelles et poignantes, » Albert de Mun, qui les vivait comme nous, plus dangereusement peut-être, trouvait les réflexions et les mots les mieux appropriés à notre anxieuse impatience. Il énumérait nos motifs d’espérer ; il nous prêchait le sang-froid ; « mères douloureuses, épouses tragiques, fiancées torturées, » il les exhortait au dur sacrifice de la maîtrise de soi et du silence. A ceux qui partageaient ses croyances il rappelait les promesses de la vie éternelle et la mission providentielle de la France. « Et puis enfin, il y a Dieu, disait-il, Dieu qui a rassemblé nos cœurs divisés, qui a permis le fol emportement de l’orgueil allemand, qui a conduit le merveilleux renversement des calculs germaniques. Il y a Dieu et Jeanne d’Arc !… Ce n’est pas en vain qu’après cinq siècles, l’image de Jeanne béatifiée est revenue planer sur la patrie,