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n’est pas venu, et l’attitude de la population a été presque hostile. » Donc, depuis qu’il avait été nommé gouverneur de la province rhénane en 1849, le roi n’avait pas conquis le cœur des annexés, au contraire de sa femme, la reine Augusta, qui leur avait marqué quelques prévenances. Cela, Guillaume Ier le savait, et Bismarck aussi. Dans ses Pensées et Souvenirs, où il récrimine sans cesse contre l’esprit français de sa souveraine, celui-ci résume une lettre qu’il a reçue, en 1863, du comte de Recke-Volmerstein : comme le roi avait formé le projet de venir cette année-là assister à un Dombaufest, des Rhénans ralliés lui écrivirent pour le supplier de n’en rien faire et de déléguer la reine, « qui serait reçue avec enthousiasme. » D’ailleurs, l’expérience de Bismarck remontait au temps de sa jeunesse, quand il était référendaire au gouvernement d’Aix-la-Chapelle.

Depuis longtemps il a donc envisagé la cession éventuelle de la rive gauche, et il est prêt à y consentir, si ce sacrifice lui assure notre bienveillance. Non pas qu’il l’ait jamais avoué officiellement, car au contraire il l’a toujours nié, mais ses idées étaient de notoriété publique et elles provoquaient de continuelles allusions. Il n’en faisait pas mystère en particulier : les preuves sont là, abondantes et formelles ; elles se renforcent de jour en jour, à mesure que les documens sortent des archives. Les motifs qui le déterminent sont les suivans : les provinces rhénanes résistent toujours à la domination prussienne ; elles ne sont pas protestantes, mais catholiques ; elles défendent toujours âprement les conquêtes qu’elles doivent à la Révolution française et à l’Empire ; elles sont loin de Berlin et privées de communications rapides avec le centre de la monarchie. Le plan de Bismarck est donc celui-ci : il abandonnera ces populations rebelles, pourvu que le territoire de la Prusse se groupe autour de la capitale en une masse compacte ; il lui suffira pour cela, avec l’assentiment de la France largement désintéressée, d’annexer la Saxe et le Hanovre ainsi que la Hesse : alors les possessions des Hohenzollern s’étendront sans interruption de Tilsitt à la ligne du Mein.

Il a manifesté ses intentions au diplomate saxon von Nostitz, au temps où il n’était encore que ministre à Francfort, puis, en 1863, au général Fleury. En 1864, il s’est efforcé, dans des conversations avec l’ambassadeur britannique, de prévenir une