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et dans le cas d’une lutte très dure, Napoléon III s’interposerait comme arbitre. Il donnerait à l’Italie le territoire vénitien, à l’Autriche la Silésie, au Danemark le Schleswig ; il garantirait l’indépendance des États secondaires et ainsi se les attacherait ; il permettrait à la Prusse de s’agrandir dans le Nord et recevrait la rive gauche pour prix de ses bons offices : sa médiation assurerait la grandeur de l’Empire et le bonheur de l’Europe, sans que la France eût été contrainte à se battre.

C’était là une erreur totale et qui nous fit négliger nos intérêts les plus sacrés. Jamais occasion ne fut plus propice en effet de reprendre les provinces rhénanes. Elles nous attendent. Dès que la guerre devient probable, l’opposition relève la tête et tente de susciter à la Prusse des difficultés intérieures. Il semble bien qu’elle ait pris part aux assemblées qu’organise au mois de juin le Nationalverein en diverses localités du Palatinat et de la Hesse, afin de protester contre la politique agressive de Bismarck. Mais elle est mal à l’aise dans ces démonstrations à tendances pangermanistes, et elle agit pour son propre compte. Les conseils municipaux envoient à Berlin des adresses en faveur de la paix. Dix-sept chambres de commerce font parvenir au roi une pétition collective contre la guerre. Les habitans de Dortmund, Duisbourg, Elberfeld, Barmen, Crefeld, Düsseldorf et Cologne étalent leur hostilité dans un document presque comminatoire : « Nous nous sentons obligés en tant qu’hommes indépendans de déclarer publiquement que, malgré tout le dévouement du peuple au souverain bien de la patrie, l’enthousiasme indispensable à une lutte véritable pour les intérêts allemands lui fait défaut. » C’est bien pis encore quand la Prusse lance ses ordres de mobilisation : alors les soldats de la réserve et de la landwehr refusent de monter dans les trains militaires, et les autorités doivent les y forcer en faisant intervenir d’autres troupes. Ketteler, l’évêque de Mayence, prend parti pour les rebelles et publie une lettre très violente où il reconnaît que les hommes obéissent de mauvaise humeur et sans aucun enthousiasme. Quelques jours auparavant, l’archevêque de Cologne a écrit au roi dans le même sens. Dans la campagne, les curés prêchent contre Bismarck.

Les sentimens des Rhénans s’analysent sans aucune difficulté. D’abord, entre la Prusse luthérienne et l’Autriche catholique, leur choix est vite fait en faveur de cette dernière : il