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compte y trouver une victoire qui lui accordera de larges compensations pour la perte du Rhin. La rive gauche est à nous si, comme il s’y attend, nous voulons la prendre. À plusieurs reprises le rappel des troupes royales est signalé aux Tuileries par nos agens. De Strasbourg, où il commande, le général Ducrot assiste à cette retraite : « Les Prussiens, écrit-il, étaient si bien convaincus que la rive gauche du Rhin devait être la compensation légitime, pour nous, de leur agrandissement en Allemagne, qu’ils avaient tout évacué, et qu’ils n’avaient même pas laissé dans les casernes les porte-manteaux et les crochets destinés à recevoir les effets militaires. » À la même époque, des lettres arrivent du pays rhénan au journal würtembergeois le Beobachter et lui fournissent les mêmes renseignemens : Bismarck désarme les forteresses et rappelle ses troupes.

De Trêves à la frontière de Hollande, on s’apprêtait donc à recevoir les Français. Tous les espoirs nourris depuis 1815, déjoués une première fois en 1830, puis encore en 1848, allaient se trouver réalisés, En avril 1868, le général Ducrot devait s’entendre dire que les populations, si elles avaient alors été appelées à disposer d’elles-mêmes, eussent voté à l’unanimité en faveur de la France : le nombre des opposans n’eût pas dépassé 1 pour 100. Mais lui-même n’avait pas besoin de ces affirmations pour être convaincu. À Strasbourg, en 1866, il était parfaitement averti de l’état de l’opinion. Les rapports officiels parvenus à cette époque soit à la préfecture, soit au siège de la division, attestaient que le suffrage universel devait nous être favorable. Ce qu’il y avait de plus significatif, c’est que beaucoup de familles rhénanes, pour éviter les désagrémens inséparables de toute invasion, s’étaient réfugiées non pas eu Prusse ou dans les États situés sur la rive droite du Rhin, mais sur notre propre territoire, en Alsace et en Lorraine, afin de se mettre sous la garde de ceux qu’elles considéraient comme de légitimes protecteurs.

Or la France conserva son attitude passive. À la nouvelle de Sadowa, qui consterna les milieux officiels, Drouyn de Lhuys insista dans le sens d’une action immédiate. L’Empereur réunit le conseil des ministres, signa le décret de convocation des Chambres et proposa de mobiliser 250 000 soldats. Mais Rouher et La Valette s’opposèrent à ce projet en représentant que l’expédition du Mexique avait désorganisé l’armée. La Valette affirma que le maréchal Randon ne disposait que de 40 000 hommes,