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et où se réfugiaient aussi des soldats. Sœur Isaïe leur demandait s’ils n’avaient pas rencontré deux Sœurs, mais ils n’en avaient aperçu aucune, et elle commençait à se rassurer complètement, lorsqu’un chasseur arrivait en disant qu’une religieuse venait d’être blessée près de la fontaine, sur la place de la mairie. Tout angoissée, Sœur Isaïe quittait alors précipitamment la cave, demandait au chasseur de la conduire sur la place, et là, à côté de la fontaine, distinguait en effet une ombre allongée par terre, au milieu d’un groupe. Elle s’approchait aussitôt de cette forme immobile et noire, y reconnaissait Sœur Ignace, l’appelait, se jetait à genoux, lui parlait, croyait l’entendre soupirer, et envoyait le chasseur chercher immédiatement un prêtre et un médecin… Mais tout était fini, et Sœur Ignace ne donnait déjà plus signe de vie. Elle venait d’expirer, et l’automobile sanitaire, qui ne tardait pas à arriver, ne rapportait plus qu’un cadavre à l’ambulance.

Il est très rare qu’une mort fasse vraiment verser des larmes à une foule, mais dans tout Moosch, à la nouvelle de celle de Sœur Ignace, il ne se trouva personne pour rester les yeux secs. On la couchait sur un lit tendu de blanc, parmi les cierges et les fleurs, dans sa robe et dans sa cape noires, et ses mains jointes, ses yeux clos, son rosaire, ses lèvres qui semblaient presque remuer encore, lui donnaient l’air de prier. Puis, le dernier jour se levait, et le cortège, précédé de six prêtres-soldats, la menait au champ du repos comme on y mène les héros. A la foule des officiers et des troupes, à la garde d’honneur avançant fusils bas, on aurait pu croire au cortège d’un chef militaire, sans les symboliques et virginales guirlandes de fleurs blanches dont le cercueil était orné. Comme elle l’avait souhaité le matin même de sa mort, on la conduisait au cimetière militaire, où l’attendait sa tombe entre celles de. deux officiers ; on plantait dessus la croix de bois, on y attachait la cravate de tulle blanc, et la belle et tragique vallée, où devaient bien dormir encore quelque part, sous les roulemens du canon, quelques anciens échos du moulin de Willer, assistait aux plus émouvantes funérailles qu’aient peut-être jamais vues les hommes !

Quelques jours après les obsèques, un planton venait à l’hôpital, et remettait un pli à la Supérieure. Elle en reconnaissait tout de suite l’écriture, y lisait en même temps : Ouvert par l’autorité militaire, et c’était, en effet, une lettre de Sœur