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celui-là le dernier soupir, le suprême adieu aux êtres chéris. Il n’a pas été blessé, mais il a fait tout ce qu’il fallait pour l’être. »

Le régiment, le lendemain de la bataille, s’arrêtait à Frévent, où l’école libre était réquisitionnée pour loger la troupe. Le fourrier Portas venait prendre possession de l’établissement, et la directrice et ses sous-maîtresses ne pouvaient s’empêcher de s’intéresser à l’air fragile et doux de ce grand et mince sous-officier, dont la sollicitude pour le soldat avait comme quelque chose de maternel. Elles voyaient ensuite arriver les hommes, et sa patience, au milieu de leurs réclamations, ne leur causait pas moins d’admiration. Plusieurs d’entre eux semblaient assez grossiers, et d’autres avaient même d’assez mauvaises figures, mais tous, lorsqu’ils lui parlaient, le regardaient avec déférence. En apprenant qu’il était prêtre, elles insistaient pour l’inviter le soir à leur table, et remarquaient d’abord la profonde tristesse que lui avaient laissée les terribles visions de la veille. Puis, il devenait moins taciturne, leur parlait de sa paroisse et de son pays, de Lanquais, de sa mère, de son oncle le curé, et la directrice, le jour suivant, écrivait à Mme Portas : « Madame, j’ai eu l’honneur et le bonheur hier de recevoir M. Portas, sergent-fourrier du 250e… De suite, je remarquais l’intérêt qu’il portait à ses hommes et le bien-être qu’il désirait pour eux, et je ne fus pas très étonnée quand l’adjudant me dit tout bas qui il était. Vous pouvez être fière, madame, d’avoir un tel fils, et toutes, ici, nous avons été profondément touchées de son égalité d’humeur, de la bonté qu’il témoigne à tous et de son oubli complet de lui-même. Son souvenir ne s’effacera pas de notre mémoire… Arrivé dimanche à trois heures de l’après-midi, il nous a quittées le lundi à cinq heures du matin. Nous avons voulu le soigner comme vous l’auriez fait vous-même, mais nous avons dû insister longtemps avant de réussir à lui faire accepter un lit et un repas. »

Un mois plus tard, le 250e se battait dans la Somme, et l’un des jeunes gens du patronage de Nontron recevait cette carte du front : « Dans une tranchée, face à l’ennemi. Merci, mon petit Antonin, de toutes tes lettres. Elles sont vraiment bien bonnes, et j’y puise beaucoup de courage pour accomplir chaque jour mon devoir. Ce sera une grande consolation et joie pour tous de penser que, par tes lettres, tu aides ton petit