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semblait toujours, disaient-ils, l’apercevoir, dans la demi-lueur de la nuit, agitant ses grands bras pour essayer de les rallier, puis se retournant pour tirer, quand ils avaient tout à coup cessé de l’entendre, et ne l’avaient plus aperçu…

Un jour, peu après cette disparition, des permissionnaires débarquaient à la gare de Périgueux, en rencontraient un autre qui repartait pour le front, et les premiers demandaient au second :

— Dis donc, tu te rappelles bien Portas, le curé ?

— Oui, le sous-lieutenant… Eh bien ?

— Il est mort…

À cette nouvelle, le permissionnaire pâlissait, regardait un instant ses camarades sans pouvoir leur dire un mot, et fondait tout à coup en larmes.


FAMILLES DE FRANCE.

J’ai entendu raconter à un religieux :

— Il arrive fréquemment que, dans mon ministère, une pauvre enfant me dise à la fin de l’entretien : « Mon père, priez pour mes frères… J’en ai quatre, j’en ai cinq, j’en ai six à la guerre. » Un jour, l’une m’a même dit : « J’en ai sept ! »

De ces frères, pour qui tremblaient ainsi leurs sœurs, combien ne seront pas revenus ! Combien seront morts loin de tout secours, martyrs innombrables et ignorés, en murmurant seulement, à leur dernier soupir, le nom de leur mère et celui de leur pays ! Combien de maisons, pleines de joie et de jeunesse avant le cataclysme, et dans le vide et le silence desquelles ne sont plus que des femmes en noir, des vieillards et des enfans !

Vers le milieu de mai 1916, le député de Cholet, M. Jules Delahaye, visitait sa circonscription. On était aux journées les plus terribles de Verdun, et parmi les femmes et les veuves, venues pour lui exposer leurs besoins ou lui raconter leurs deuils, il voyait se présenter une vieille paysanne en coiffe, une femme Brémond, veuve d’un petit propriétaire de Saint-Christophe-du-Bois, qui lui disait avec une douleur profonde :

— Monsieur, nous avons eu, mon mari et moi, six enfans, quatre garçons et deux filles, et tous nos fils sont partis pour la guerre… Brémond et moi, monsieur, nous avons été élevés dans l’amour de la France, et nos fils ont été élevés comme