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des Indes pour chacun des visiteurs, les plus belles pièces étant destinées à Mme Dubayet.

Celle-ci ne manqua pas de profiter de l’invitation que Saint-Cyr avait su rappeler au capitan pacha, et, au jour fixé, — trois mois après la mort du général, la veuve éplorée, vêtue en homme ainsi que sa fille, — deux jolis petits garçons, en vérité ! — grimpait l’échelle ; elle fut reçue à la coupée par le capitaine de pavillon, goûta au café et au chocolat, visita le navire de bout en bout, et, au départ, reçut un salut de sept coups de canon. Il y avait de quoi tourner une tête solide : ces honneurs, cette vie somptueuse, ce palais, ce train, cette liberté de costume qui pouvait bien surprendre les Turcs peu habitués à de pareils travestissemens, tout devait enivrer la charmante petite Dauphinoise, sevrée de plaisirs depuis toujours. Sans doute trouvait-elle jadis, dans des bals de campagne, sous les auspices de son beau-frère Bruno, à exercer le goût qu’elle avait pour la danse, et sautait-elle fort bien, sans s’interrompre, de cinq heures jusqu’à neuf heures du lendemain. Sans doute, connaissant comme elle était coquette, Dubayet, pour lui faire prendre patience, lui décrivait-il plutôt mal que bien les toilettes des merveilleuses et lui envoyait-il même quelque ajustement ; mais qu’était cela pour rassasier une fringale de plaisirs ? Elle n’avait pas vingt-huit ans, cette jolie dame, toute mignonne, qui, depuis qu’elle était née, n’avait quitté Grenoble que pour venir à Paris guetter l’occasion pour Constantinople. Si, seule de tous les entours de Dubayet, elle n’avait pas eu part à ses colères, — ce qui n’est point démontré, — au moins avait-elle enduré son caractère, et elle ne pouvait que se sentir libérée. Seulement, le beau rêve d’être ambassadrice ne pouvait durer toute la vie, et Talleyrand y mit fin ; eu égard aux circonstances, il traita largement la veuve de Dubayet. Régulièrement, les appointemens du général eussent dû être arrêtés au jour de sa mort, le 17 frimaire an VI (7 décembre 1797) ; ils furent prolongés, pour Mme Dubayet, de deux mois et demi, et arrêtés au 30 pluviôse (18 février 1798). Elle reçut, pour frais de retour, ceux mêmes qui eussent été alloués à son mari. Si, par la suite, elle eut quelques difficultés avec le département pour le règlement des objets précieux que Dubayet avait reçus en compte pour les distribuer sur sa route, c’est qu’ « Annibal le Mississipien » était prodigue et