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temporaire, cette fragilité les incite à vivre leur présent de manière à ménager leur avenir. Or, pour eux, si jamais ils deviennent des étrangers, la plus maladroite des mésaventures sera l’embarras d’enfans communs. Les bouts de la chaîne en vain brisée traîneront à jamais derrière les anciens conjoints au détriment des intérêts, de l’indépendance, de la nouveauté qu’ils voudraient mettre dans leur vie. Ce passé est redoutable surtout à la femme. Elle devient plus désirable à l’homme quand il croit être le seul à qui elle donne ce qu’il veut obtenir, et s’il a eu des prédécesseurs, il faut qu’elle l’aide à les oublier. Comment oublierait-il, si des enfans étrangers à lui ramènent son amour a la raison en lui rappelant sans cesse les anciens liens, l’ancien nom, l’âge de la femme et tout ce qu’elle lui apporte d’un autre ? Ces réflexions agissent si bien que les époux favorables au divorce n’ont pas d’enfans ou en ont peu.

La raison nouvelle, qui s’était éprise de la réforme, ne se laissa pas désenchanter par le résultat. Elle aima mieux le sanctionner, devenant sceptique sur les avantages des nombreuses naissances. Dès la fin du XVIIIe siècle, hors de France, la peur de l’enfant avait fait la renommée de l’homme qui révéla « le principe de population. » Selon Thomas-Robert Malthus, la population, qui tend à doubler en vingt ou vingt-cinq ans, croît suivant une progression géométrique, tandis que les subsistances s’accroissent seulement selon une proportion arithmétique. De là la nécessité de restreindre le nombre des naissances, pour que les êtres créés trouvent à se nourrir. Malthus, chrétien et pasteur, continuait à croire que l’homme a reçu la fonction divine de transmettre l’existence : il ne tenait pour légitime la restriction des naissances que dans la mesure où elles causeraient la famine. Et cette restriction était pour lui une forme religieuse encore du devoir. La Providence, enseignait-il, a attaché une jouissance à la génération, mais comme choses indivisibles, et l’homme n’a pas le droit de corrompre la nature en les séparant. Donc, il ne doit pas s’abstenir de l’acte créateur sans s’abstenir du plaisir sexuel. Et Malthus interdit nommément aux époux « le libertinage, les fraudes contraires au vœu de la nature, la violation du lit conjugal et le secours des artifices. » Il demande la continence qu’il appelle une « contrainte morale. » Et en même temps qu’il déclare