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Aspirations vers Jérusalem, aspirations vers Constantinople, hantaient sa fumeuse cervelle : il leur donnait, tout à la fois, la valeur littérale d’un héritage légal, — héritage des rois de Jérusalem, héritage de la maison d’Anjou, — et la grâce enchanteresse d’un rêve un peu fuyant. Louis XII prolongea le rêve : en 1499, soixante-douze ans avant don Juan d’Autriche, la flotte du roi de France, treize jours durant, engagea contre l’Islam une première bataille de Lépante, qui, sans l’inertie des Vénitiens nos alliés, aurait eu des résultats décisifs.[1].

Soudainement, dans le premier quart du XVIe siècle, la nation germanique fut l’ouvrière d’une grande dislocation : une affiche théologique, apposée dans Wittenberg, prépara le déchirement de la chrétienté. Villiers de l’Isle-Adam et quatre mille Hospitaliers, après avoir défendu Rhodes magnifiquement, mais en vain, errèrent comme d’héroïques épaves à travers la Méditerranée, jusqu’à ce que Malte les abritât. A Lépante, en 1571, la France fut absente ; la voix de l’évêque François de Noailles suggérant à Charles IX d’établir le protectorat de la France sur l’Algérie et lui affirmant qu’ « on pourrait faire avaler aux Turcs cette tiriaque, » resta sans écho. Mayenne prenait trois cents hommes pour s’en aller jouter contre les Turcs ; il semblait que l’idée de croisade n’inspirât plus que des parties d’escrime. Elle n’était plus qu’une gêne pour les Puissances de l’Europe, depuis que la division des âmes chrétiennes avait permis aux manœuvres diplomatiques de l’Islam de s’insérer dans la politique de l’Occident.

Elle survivait, pourtant, dans les imaginations, comme survivait au fond des consciences le souvenir de la vieille chrétienté ; et ces deux idées jumelles, celle de croisade, celle de chrétienté, firent encore effort, à travers le XVIIe siècle, pour se relever du coup formidable que le XVIe leur avait assené. Le Père Joseph, — l’éminence grise de Richelieu, — pensait sans relâche à la croisade, et quelquefois il en parlait. Un jour, courant à Rome, il mit sur pied, d’accord avec Paul V, un projet de campagne dans le Levant, que devait exécuter Charles de Gonzague, duc de Nevers ; et comme les routes étaient longues dans l’Europe d’alors, il composa, tout le long de son retour, quatre mille six cents vers latins qui s’appellent la Turciade : le Christ

  1. Le fait a été révélé par M. Charles de la Roncière dans son Histoire de la Marine française, III, p. 38-46. (Paris, Plon, 1906.)