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Colbert au moment où, devant Vienne, Sobieski fît reculer les Turcs sans que la France fût là.

A l’école de son maître Bossuet, le grand Dauphin s’animait contre le Turc. « Je me souviens, écrivait Bossuet au pape Innocent XI, qu’ayant un jour loué Alexandre d’avoir entrepris avec tant de courage la défense de toute la Grèce contre les Perses, le prince ne manqua pas de remarquer qu’il serait bien plus glorieux à un prince chrétien de repousser et d’abattre l’ennemi commun de la chrétienté, qui la menace et la presse de toutes parts. » La politique, souvent, commandait une autre ligne de conduite à l’endroit des Turcs ; mais, à l’écart des conseillers royaux qui concertaient cette politique, le précepteur royal et son élève concevaient encore à la façon d’un duel les rapports entre la Croix et l’Islam. Le panégyrique annuel de saint Louis, qu’entendaient la Cour et l’Académie, perpétuait l’évocation des croisades ; et cela, durant le XVIIIe siècle, résonnait comme un archaïsme.

Mais certains archaïsmes apparens demeurent des forces : ils peuvent, s’adaptant aux circonstances, faire ressusciter, sous une forme plus neuve, plus opportune, l’idée dont ils furent l’expression momentanée ; éprises de sa grandeur, mais lasses de ses lenteurs, certaines âmes deviennent inventives de méthodes nouvelles, où elles se satisfont, et qui libèrent et mettent en branle ce que l’archaïsme recelait d’activement vivant. Parmi les missionnaires français dont un autre article dira les périples, combien, venus plus tôt dans des siècles moins vieux, eussent été des croisés ! En fait, aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’idée de croisade se transformait, se transfigurait ; elle promenait à travers le monde, par le bras des missionnaires, une croix désarmée ; mais c’était toujours la croix, et la ressemblance de cette croix avec la croix du Calvaire était même devenue plus pure, puisque l’épée qui jadis faisait escorte, — tout comme le glaive de Pierre rengainé par ordre du Christ, — était désormais maintenue dans le fourreau. Nos philosophes, aussi indifférens à nos missions chrétiennes qu’à nos colonies nationales, considéraient l’idée de croisade comme atteinte de cachexie ; ils se trompaient. Les âmes d’apôtres qui la réalisaient jugeaient autrement qu’eux.

Politiquement, d’ailleurs, elle avait encore quelques soubresauts de vitalité. Lorsque, en 1830, la branche aînée des