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ALAN SEEGER.

m’appartenait de tirer de leurs corbeilles les joyaux lumineux, les brocards et les soieries brodées, la topaze et la tourmaline ; de tordre en fiers caprices sur ma tête les étoffes des turbans, d’y assujettir des plumes, des perles et des saphirs… Je me levai : une lointaine musique attirait mes pas dans une poursuite amoureuse parmi les parquets de marqueterie et sous les péristyles élevés. À travers la forêt des colonnades, de belles lampes étaient des fruits lumineux ; sur les mers de la mosaïque bleue, de doux tapis formaient des îles fleuries. Il y avait des cours vertes que surmontaient des arches enguirlandées et où des fontaines jaillissaient en des vasques de lapis-lazuli. À travers les portes énigmatiques, soupiraient de voluptueux accens. Et comme j’avais la jeunesse, je possédais le « Sésame, ouvre-toi[1] ! »

Fidèle comme il l’était à la tradition de la littérature anglaise, le jeune Américain avait subi dans certains poèmes de ses Juvenilia l’influence des maîtres anciens. Mais, si la forme en demeurait classique et le tour d’esprit sans excentricités, l’inspiration en était neuve et bien sienne. L’âme prime-sautière, hardie du poète, amant de la vérité, n’aurait pu supporter aucune contrainte étrangère : son art est le beau fruit de sa vision et de son expérience personnelles.

Né à New-York d’une famille d’origine anglaise, Alan Seeger avait passé, dans les pays les plus pittoresques du monde, les années décisives de son enfance et de son adolescence. Il n’avait pas trois ans lorsque les siens s’installèrent au fond de la baie de New-York, sur les hauteurs de Staten Island. Des larges fenêtres de la maison familiale, les enfans, attentifs, voyaient les grands navires de tous les tonnages et de toutes les nationalités passer, en solennelle procession, à travers les méandres des détroits, des larges canaux, pour aborder dans l’animation de la rade, ou encore pour s’en aller, au milieu de l’incessant trafic, chargés des songes et des désirs du jeune Seeger, vers le vieux monde, pays de ses rêves.

Amoureux de la beauté et du rythme, l’enfant aimait à

  1. Alan Seeger, Poèmes, 1916.