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ALAN SEEGER.

avec fierté, a été accompli : les ricaneurs ne sont plus tout à fait sans réplique qui, triomphans, accusaient l’Amérique intimidée de demeurer à l’écart d’une guerre dont la liberté du monde est l’enjeu… »

Et le poète s’attendrit : ses compatriotes suivront l’élan héroïque. Ils n’auront pas la patience de supporter un seul jour encore d’attente. Leur virilité se réveillera aux fiers accens de sa lyre chantant les exploits de la France, ils écouteront la voix du suppliant :

« Ô amis ! si seulement vous vouliez voir comment une race peut s’élever, qui n’a ni l’amour, ni la crainte de la guerre ; comment chaque homme peut se détourner de sa tâche coutumière pour que tous agissent en un ensemble parfait ; comment une nation, jalouse de son bon renom, peut demeurer fidèle à son fier héritage ! Ô amis ! vous regarderiez par ici, et vous prendriez, de la France, l’enseignement. »

Au moment où Alan composait ces vers, les journaux d’Amérique annonçaient faussement sa mort sur le champ de bataille en Champagne : « Je suis navré, écrivait-il à sa mère, de penser que vous avez souffert ainsi. Je me serais arrangé pour vous télégraphier après l’engagement si j’avais su que des bruits aussi absurdes couraient. Ici nous n’avons besoin de faire aucun effort d’imagination pour concevoir que cela ne fait aucune différence pour rien ni pour personne, si l’un de nous disparait. Beaucoup d’hommes meilleurs sont morts, pourtant le monde tourne juste de même… »

En février de cette année 1916, le poète, atteint d’une bronchopneumonie aiguë, dut, pour la première fois depuis le commencement des hostilités, cesser de se battre : « Je suis à l’hôpital, non pour une blessure de guerre, malheureusement, mais pour maladie… » Il passa ses deux mois de congé de convalescence, partie à Paris, partie à Biarritz, avant de rejoindre son régiment. Alors, entre deux combats, une langueur d’amour visite sa jeunesse. Une ravissante image de femme passe dans ses « Sonnets. » Elle est drapée de beauté, illuminée de grâce mignonne, et le héros sourit, avec une indulgente et douloureuse gravité, aux caprices, aux petites mines, aux riants badinages, aux façons coquettes et moqueuses de l’aimée rebelle :

« Voyant que vous n’êtes pas venue, je suis sorti seul, et j’ai été content de faire de vous la maîtresse de ma pensée