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les plus pures traditions de l’École française. Il y a bien des contradictions là-dedans. Pour les éclaircir, il n’est que de regarder son œuvre.

II

D’abord, les sujets. Ils sont toujours très « modernes, » sauf quelques négligeables essais du début. Mais ils sont fort particuliers et ne se présentent pas d’eux-mêmes à la vue de tout le monde. Il faut généralement payer quelque droit d’entrée pour voir les lieux où se déroulent les actions chères à Degas : une salle de spectacle, les coulisses, le pesage ou l’enceinte des courses, un cirque, un café-concert. Les scènes de ses principaux chefs-d’œuvre, le foyer de la danse pendant les répétitions, les classes de ballets, sont inaccessibles, même en payant, au commun des mortels. On est donc obligé de le croire sur parole et de louer la véracité du narrateur sans avoir été jamais témoin des faits racontés. On en juge par analogie avec ce qu’on a pu voir, ou entrevoir ailleurs, et c’est très légitime, mais c’est la preuve qu’il y a eu « choix. » La théorie moderniste que l’art ne doit pas choisir ses sujets, comme l’art classique ou l’art romantique, mais les prendre au hasard, tels que les offrent la nature et la vie, se trouve immédiatement démentie par cette volonté expresse de s’enfermer dans un lieu interdit au public, à un moment où des figures, costumées de façon spéciale, y font des gestes rares et appris. Jamais classiques et romantiques n’ont fait choix d’un sujet plus étroitement circonscrit et la plupart de nos contemporains n’ont pas vu davantage ces scènes bien « modernes, » je veux dire les répétitions de ballets, qu’ils n’ont vu les Horaces prêtant leur serment, ou le Massacre de Scio.

Ce sont, là, ses sujets topiques. Il en a parfois d’autres, qui sont à proprement parler des études : telles, ses Suites de Nuds de femmes se baignant, se lavant, se séchant, s’essuyant se faisant peigner, ou des scènes de mœurs sur les frontières de l’humorisme, telles que l’Absinthe, la Chanteuse verte, les Deux Repasseuses, ou même des anecdotes, comme l’Intérieur. Il a même fait quelques portraits, c’est-à-dire le portrait d’un bouquet de fleurs, auprès duquel, pour meubler le coin du tableau il a mis une tête de femme. Mais ce ne sont pas, là, les visions