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des champs, sous prétexte que les études demandent un corps aussi vaillant que le maniement des armes. Levé avant l’aurore, il partait pour les rizières ; et, le soir, le maitre lui payait le salaire de sa journée en lui expliquant les classiques chinois. Cette vie de campagnard fortifia ses membres, et la doctrine confucéenne acheva de lui tremper l’âme. L’amour de l’étude, dont il est possédé, est un des signes caractéristiques de sa génération. Parmi les jeunes gens de son âge, plus d’un se fût jeté à la nage pour gagner le navire européen qui souillait aux yeux de leurs pères les eaux sacrées du Japon, mais qui l’aurait emporté vers ces nouveaux mondes dont les Tokugawa avaient amputé leur misérable univers. Ils rêvent tous d’être savans. Les uns comprennent que la science à conquérir est au-delà de leur horizon ; les autres, comme Nogi, ne la cherchent encore que dans les livres chinois. La Restauration impériale les en tira brusquement et fit d’eux ses officiers et ses soldats.

Huit ans plus tard, en 1877, le futur maréchal se révéla dans la révolte des Salsuma ; il s’en fallut de peu qu’il n’y laissât la vie avec sa réputation naissante. Une première fois, son cheval s’emballa et traversa au galop les lignes ennemies ; une seconde fois, une balle lui brisa son épée, et, pressé par trois insurgés, il sauta dans la rivière. Blessé à une troisième rencontre, et transporté à l’hôpital, il n’attendit pas sa guérison et s’échappa furtivement la nuit, ce qui lui valut le surnom exceptionnellement glorieux d’officier déserteur. Une autre fois enfin, son régiment fut cerné ; il le sauva ; mais l’enseigne fut tué et le drapeau pris sur son cadavre. Nogi considéra qu’il était déshonoré. Ses officiers l’empêchèrent de s’ouvrir le ventre. Il consentit à vivre ou, du moins, à surseoir au châtiment que le code de l’honneur samuraï que lui commandait de s’infliger. Seulement, personne ne put le dissuader d’adresser au Trône une lettre de démission. L’Empereur refusa la démission et répondit qu’il appréciait hautement le courage du jeune capitaine. Ce fut le commencement de leur longue amitié, si toutefois on peut donner ce nom à un sentiment qui ne devait être chez le prince qu’une sympathie intelligente pour un serviteur exemplaire et qui allait chez Nogi jusqu’à la vénération passionnée. Depuis la perte de son drapeau, l’idée que sa vie n’était plus qu’un prêt consenti par la grâce du souverain s’installa dans son esprit et détermina ses actes. Personne ne s’appartint moins