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soldats sacrifiés, et je ne me sens pas de force à recevoir les applaudissemens publics. » Il était là devant tout un peuple dressé sur le rivage et qui l’acclamait, devant toute sa patrie soulevée d’enthousiasme, aussi impressionné que jadis dans les ténèbres où sa main d’enfant timide tâtonnait et cherchait à saisir une tête sanglante.

Le sentiment de sa responsabilité continua de l’obséder. Il se demandait si un général plus habile n’aurait pas trouvé le moyen d’épargner un peu plus la vie de ses hommes. Lorsqu’il parut en présence de l’Empereur, les seules paroles qui lui montèrent aux lèvres témoignèrent du trouble de sa conscience. Elle ne retrouva peut-être jamais le calme. Dans ses dernières années, les Japonais, qui n’admirent longtemps et sans restriction que les morts, surpris de la vie très simple et presque réduite des Nogi, — car la comtesse portait plus souvent du coton que de la soie, — reprochaient tout bas au maréchal de thésauriser. On sait aujourd’hui où passait son argent, et les parens des soldats tombés à Port-Arthur le savaient déjà. Chaque fois qu’il rencontrait un pauvre homme dont le fils avait servi sous ses ordres et était mort comme les siens, il se sentait son débiteur et acquittait sa dette. Il essayait ainsi d’apaiser en lui-même les voix anxieuses qui lui répétaient : « Nous ne regrettons pas d’être morts pour la patrie ; mais comme vous avez été prodigue de notre sang ! Un autre que vous n’aurait-il pu faire ce que vous avez fait à meilleur compte ? » Et, dans ses longues promenades solitaires, le maréchal reprenait Port-Arthur plus économiquement. On ne se trompait pas tout à fait en le soupçonnant d’avarice.

L’Empereur le nomma, en 1907, Directeur de l’École des Nobles, choisissant pour les fils et les filles de sa noblesse non pas un brillant pédagogue, mais un homme de caractère. Il fut exactement dans ce rôle ce que son père avait été cinquante ans plus tôt, un éducateur inflexible. Il se couchait en même temps que l’es élèves, se levait une heure avant eux, partageait leur repas, n’admettait aucune réclamation. Mais on n’était plus au temps où les filles de Samuraï supportaient avec fierté les mêmes traitemens que leurs frères. Le vainqueur de Port-Arthur s’aperçut qu’il est souvent plus difficile d’obtenir l’obéissance des jeunes filles que d’entraîner les hommes au feu. L’hiver où il proscrivit les foulards autour du cou, il y eut presque une